Requiem for a dream ou la pathologie de la norme

Requiem for a dream est un grand film à de nombreux égards et s’offre à de multiples lectures. Un point en particulier a retenu mon attention : l’explicitation du lien entre une pathologie et la manière dont une société perçoit l’homme et le monde.

Requiem for a dream (appelons-le RfaD pour plus de simplicité) décrit un monde sans Dieu. Aucun personnage, par exemple, n’a peur d’aller en Enfer, ce n’est pas le propos du film, ce n’est d’ailleurs pas le propos de grand monde depuis longtemps. RfaD bâtit également l’image d’un monde déterministe. Les séquences de « shoot » montrent bien la chaine de causalité entre le produit, son injection et sa montée au cerveau: les pupilles du personnage se dilatent et ses yeux, loin d’être le « miroir de l’âme », ne sont que les indicateurs des effets de la substance sur la machinerie du cerveau.

Dans le monde décrit par RfaD, la morale et la culpabilité existent, en témoigne la culpabilité du héros conscient d’entraîner son amie en enfer. Néanmoins, ce ne sont pas ces « valeurs » (disons plutôt ces manifestations du Surmoi) qui organisent la vie des personnages. Si on prend, par exemple, le personnage de la mère, ce qui donne sens à son existence, ce qui fonde ses angoisses, c’est la recherche d’une image (elle, dans sa robe rouge passant dans son émission fétiche). C’est ainsi cette image qui la réconforte et lui permet de s’endormir en chien de fusil lors de la dernière scène du film. C’est pour essayer d’atteindre cette même image qu’elle commence à se droguer. Or cette image, ce petit scénario fantasmatique est une expression de la norme (elle est une bonne mère que ses amies envient, son fils ne se drogue pas, il réussit ses études et son père serait fier de lui). Il n’est pas, d’abord, un fantasme personnel. Au contraire, il est l’expression de ce « on » que représente la télé, fenêtre sur un extérieur normatif. Ainsi, le problème de cette femme -mais également, me semble-t-il, de tous les personnages – est d’ordre normatif non d’ordre moral. Dans RfaD, la norme apparaît comme plus structurante et plus fondamentale que la loi.

Or, et c’est le point, qui m’intéresse, ce monde normatif est également un monde de toxicos. Les personnages y sont tous dépendants de quelque chose (qu’il s’agisse de la télévision ou de la cocaïne). La drogue y court-circuite la pensée et permet de créer, synthétiquement, cette image qui organise la vie des personnages. En ce sens elle est bien l’expression pathologique d’une société de la norme : pour accéder à l’image normée, les personnages ont recours au produit. En ce sens, ce film est celui d’un monde structuré autour de l’image et non du devoir moral. Dans ce monde nouveau, le malade n’est plus le névrosé qui se punit de ne pas respecter la morale, mais le toxico qui se défonce pour atteindre une image qu’il rêve d’être.

 

 

Une réponse à “Requiem for a dream ou la pathologie de la norme”

  1. Bravo pour cette article Vincent. Il est intéressant de noter (sans mauvais jeu de mot), comment la musique accompagne ses moments que tu décrits. Début, le thème des violents qui montent en saturation. on pesse d’une ligne assez calme puis ça monte en violence. Et hop ça s’arrête, autre BGM, le thème qu’on retrouve le plus souvent ponctuant le quotidien, les actes normés et ordonnés : toujours fais de la même façon. ce thème à la rythmique monotome ponctuant ce hors-temps. Il se répète éternellement mais ne change pas.

    En effet, tout peuple a son opium qui le norme. Un monde sans dieu, oui mais non sans transandalisme. Ici Dieu est mort il est remplacé par la drogue et les images idéales d’une télévision. Ce film est typiquement dans la thématique post moderne, l’époque d’un monde sans dieu gouverné par des images dictés par la société. Dans ce monde se chante aussi la fin du désir et du rêve qui en est l’avatar. Requiem for a dream si l’on traduit c’est le requiem pour un rêve. Or un requiem est un chant religieux accompagnant les rites funéraires. Ce qu’annonce la mort du désir c’est aussi son remplacement par le besoin et les images idéales de la télé.

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