L’ambivalence de la mère, Michèle Benhaïm, Eres, 2011.
La réussite de l’amour maternel réside aussi dans sa capacité à détester l’objet : assertion désormais admise par la plupart des cliniciens pour lesquels « l’ambivalence » de la mère ne doit plus être considérée comme une « formation pathologique ». Y compris, comme nous l’avons déjà exposé ici, dès les premiers mois de la grossesse (http://paradoxa1856.wordpress.com/2011/04/29/l%e2%80%99echographie-de-la-grossesse-promesses-et-vertiges-dir-michel-soule-par-jean-luc-vannier/). Cette aptitude devient même une « condition pour qu’elle ne se précipite pas dans l’agir pouvant aller jusqu’à l’infanticide » selon Michèle Benhaïm qui vient de publier en édition de poche chez Eres, son « Etude psychanalytique sur la position maternelle » parue en 2001 dans la Collection « Actualité de la psychanalyse ». Ni trop d’amour, ni trop de haine mais « suffisamment » des deux, souligne Jean-Jacques Rassial, son directeur de thèse en 1996 qui en signe également la préface.
La lecture de cet ouvrage suscite toutefois un mélange de satisfactions mais aussi de déconvenues. Si elle fait litière d’approches trop souvent comportementales ou psychologisantes, la psychanalyste marseillaise entend par surcroît inscrire son exigeante réflexion sur le maternel « à l’intérieur du discours culturel et du lien social » dans lesquels ce dernier se « déploie » et qui en signent les ratages : insoumission à la « division qu’implique le langage » pour le sujet, rêve social d’une « éradication absolue de l’angoisse », mères qui « deviennent des toutes-mères » dans un contexte où la fonction paternelle n’est plus assurée, clinique du tout-petit qui annonce celle de l’adolescent où le « non » qui leur est ultérieurement opposé « revient à les anéantir subjectivement ». Une approche sociologique originale mêlée de références constantes à Winnicott. Ce qui conduira l’auteur à conclure sur « le maternel et la déliaison sociale ».
Mais Michèle Benhaïm surprend dans son introduction où elle explique qu’être mère « consiste en partie à dissocier les registres du sexuel et du maternel à l’endroit de l’enfant ». Difficile de la suivre dans ce qui ressemble à un vœu pieux. Et qui colle à s’y méprendre au « tableau général de la désexualisation propre à la pensée psychanalytique contemporaine » si décriée par le Professeur Laplanche dans un compte-rendu du livre d’André Green « Les chaînes d’Eros », publié dans la Revue Française de Psychanalyse en 1997. Depuis les travaux de ce dernier, on sait que dès l’enfance, la « mère imprime sa libido » à son petit. Le plus souvent malgré elle si l’on ose dire. Et c’est probablement dans cette ambivalence que vient se loger ce « message », encoche d’autant plus « énigmatique » adressée par l’adulte à l’enfant qu’elle contient cette part de sexualité infantile refoulée du plus âgé. Si l’auteur a raison d’affirmer que la vie psychique de l’enfant « s’origine dans l’effondrement du rêve maternel », laissant ainsi l’espace nécessaire à l’hallucination positive de l’absence et de la séparation, elle n’en évoque pas moins une castration maternelle qui doit être animée d’un « amour chaste » ou ponctuée par un interdit « du désir de donner le sein ». Il est à craindre que l’inconscient n’en décide autrement !
De même, la professeure de psychopathologie à l’Université de Provence irrite notre sensibilité analytique lorsqu’elle écrit : « d’emblée, la libido de l’enfant s’oppose au désir sexuel maternel ». Il nous semble que les deux registres évoqués ne sont pas du même ordre : la construction de la relation objectale chez l’enfant s’appuierait plutôt sur la libido maternelle pour ensuite s’en détourner. C’est lorsqu’il ne parvient pas à l’exploiter à son profit -en cas d’amour invasif de la mère par exemple- qu’il y répond ou s’y fixe pathologiquement. Encore faut-il s’interroger sur la mère « objet-source » de cette pulsion, une idée là encore écartée par Jean Laplanche. L’investissement maternel qui ne dépasse pas la borne de l’effraction -on serait là dans la « confusion de langues » entre adultes et enfants si chère à Ferenczi- contient néanmoins cette dose de sexualité, inhérente serait-on tenté de dire, à la maternité. Etudiés par d’autres praticiens, (http://paradoxa1856.wordpress.com/2010/05/28/depression-du-bebe-depression-de-ladolescent-par-jean-luc-vannier/), les liens entre les troubles de l’adolescence et la clinique du nourrisson en confirment aisément l’hypothèse. Mais Michelle Benhaïm, à qui il sera difficile de reprocher son manque de suite dans les idées, ne lâche pas sa thèse d’un pouce : à l’adolescence, précise-t-elle, « la mère ne peut plus éviter de reconnaître que son enfant est sexué, c’est-à-dire capable de procréer à son tour ». Assimiler la sexualité à la seule génitalité revient, selon nous, à refouler les incontournables avatars du prégénital et à s’aveugler sur les conséquences de la sexualité infantile. Et, finalement, à nier la part fondamentale de la découverte freudienne en ce domaine. Et ce, bien que l’auteur concède du bout des lèvres quelques lignes aux soins maternels, « source continue d’excitations et de satisfactions sexuelles partant des zones érogènes ». Sans le dire, l’auteur passe allègrement de Winnicott à André Green et à sa vision qui réduit le sexuel au seul génital procréatif.
On pourrait de la même manière utilement amender les propos ultérieurs de Michèle Benhaïm : « les pulsions génitales du petit garçon se dirigent vers l’objet du désir, celles de la petite fille s’orientent vers l’objet du désir de la mère ». Ne serait-ce pas plutôt vers le désir de la mère que le petit mâle tourne son regard et vers l’objet du désir maternel pour celui de la petite fille ? La différence entre les deux formes, « désir-du-désir et désir-de-l’objet-du-désir », relevées par Amine Azar, (« Les deux formes canoniques du désir », Ashtaroût, 2011), indique une renonciation, une dégradation dans le passage de l’un à l’autre. A l’image d’un de mes patients au choix d’objet homosexuel lorsqu’il aborde la fin de son analyse: le « désir » l’oriente vers les personnes du même sexe mais subsiste un « objet du désir » hétérosexuel, reliquat « scénarisé » et agonisant des premières empreintes de l’amour maternel.
Une ambivalence peut donc en cacher une autre : dans le cas du livre de Michèle Benhaïm qui hésite sur la place qu’il convient d’accorder à la sexualité infantile, celle de la mère ne peut que renvoyer à celle de l’auteur.
Nice, le 30 mai 2011
Jean-Luc Vannier
Si je comprends bien d’une part, il ne s’agirait que d’une reformulation de ce que dit Winnicott en parlant de « the good enough mother » (malencontreusement traduit par « la mère ***suffisamment*** bonne » je souligne : Formulation ressortant d’une traduction littérale, comme de « faux amis », dont la connotation est ambigüe, au lieu par exemple de « la mère ***satisfaisante*** », plus proche de la notion anglo-saxonne de « the good enough mother »
Pour le reste, en, effet, se pose la question de la sexualité infantile semble en effet renvoyer à celle de la l’auteur. ***Dissocier*** la sexualité de la « maternalité » chez la mère à l’endroit de l’enfant pose en effet question… à tout le moins sur le courant de désexualisation.
Et en outre, confondre « désir du désir » et « désir de l’objet du désir » est surprenant.
Ceci dit, je n’ai pas lu Amine Azar, mais dans le commentaire de Jean-Luc Vannier, ci-dessus, ***n’y aurait-il pas une coquille*** ?
En effet, je cite :
« ‘On pourrait de la même manière utilement amender les propos ultérieurs de Michèle Benhaïm : « les pulsions génitales du petit garçon se dirigent vers l’objet du désir, celles de la petite fille s’orientent vers l’objet du désir de la mère’ (Michèle Benhaïm).
Je poursuis la citation de Jean-Luc Vannier :
« Ne serait-ce pas plutôt vers le désir de la mère que le petit mâle tourne son regard ***et vers l’objet du désir maternel*** pour celui de la petite fille ? »
Ceci ne contredit pas à mon sens, et en ce qui concerne le désir de la petite fille, ce qu’en dit Michèle Benhaïm…
Ne serait-ce pas plutôt : « ***et vers le désir du père »*** qu’il eût fallu écrire ?
Bonjour,
Je n’ai pas lu le livre d’Amin Azar
Une première réflexion rapide me vient : – à lire je constate l’importance donnée à l’objet du désir mais aussi subreptivement la question du père, ce père qui dit non. Il est question d’une pas trop mauvaise mère, ce qui pourrait être dit du père aussi, un pas trop mauvais père. Ensuite il faudrait déduire de ce fait l’orientation sexuelle de l’enfant. Mais aujourd’hui ?
Je vous propose lecture débat :
Débat
Résumé
Français
A quoi sert la différence des sexes ? L’ouvrage, à la croisée de la philosophie, de l’anthropologie et de la sociologie, montre que le système de la différence des sexes ne sert qu’à étayer celui de l’inégalité des sexes à travers le dispositif puissant de l’ordre symbolique, véritable théologie pratique que l’anthropologie structurale, la psychanalyse lacanienne et une certaine philosophie du Droit se font fort de relayer dans tous les domaines de nos sociétés. L’auteur mobilise une analyse critique des dispositifs stratégiques mettant en œuvre les principes qui animent nos valeurs, nos représentations et nos comportements. C’est au sacré que font étrangement appel les auteurs et les politiques qui nous défendent d’approcher de trop près cet ordre fondateur et transcendant, source originaire de notre humanité. Or cet ordre symbolique, processus d’assujettissement à un système de relations sociales hiérarchisées et figées, n’est rien d’autre que notre société elle-même en tant qu’elle s’épuise à se donner un fondement. De sorte que le système de l’ordre symbolique et de la hiérarchie des sexes nous renseignent moins sur ce qu’est une société humaine que sur ce qu’elle devrait être, manifestant ainsi que toute définition est clôture sur ses propres présupposés idéologiques de transcendance, de vérité et de morale.
Débattre
Pour en finir avec l’ordre symbolique. A propos de l’ouvrage: Ni d’Eve ni d’Adam. Défaire la différence des sexes
Paris, Max Milo, 2009
Marie-Joseph Bertini
http://genrehistoire.revues.org/index769.html
Cordialement
Marianne Antonis
Bonjour,
Jean-Luc Vannier voudrait-il aimablement répondre à la « coquille » qu’il me semble avoir décelée dans son texte (vois les derniers alinéa de ma première intervention.
Merci d’avance et bonne journée.
Cordialement.
Pierre Roggemans
Rebonjour,
Je me suis penchée sur cette question. Je n’aimerais pas répondre à la place de Jean-Luc Vannier mais ma première réaction était tout de même celle-ci : – saisir l’objet cause du désir. Il s’agit bien de la formule du fantasme. La question qui se pose serait : – Que désire ma mère quand elle n’est pas là ?
Nous avons déjà là l’interrogation sur la question absence-présence. Or à lire Lacan : – le désir est métonymie du manque à être. Alors je me suis permise de porter à vos réflexions un texte rédigé à partir de la formele du fantasme.
J’opterais en première instance pour le désir désir de l’autre. Point d’interrogation. J’en arrive à une réflexion autour de la formule du fantasme telle qu’elle est approchée par Lacan.
Absence-présence le désir est métonymie du manque à être
Lle fantasme peut produire un objet propre au désir il serait lié aux premières expériences de satisfaction. Quel est la nature de cet objet du fantasme ? Penser le fantasme pourrait déterminer le sujet vers la tentative de retrouver l’objet petit a. Le fantasme réactualiserait des objets liés aux premières expériences de stisfaction. C’est la cause qui donne à l’objet petit a une fonction de matrice quasi transcendantale de la constitution du monde des objets du désir. Les relations d’objet du désir seront des répétitions de ces relations fantasmatiques, un poids insurmontable du passé qui ne fait que répéter les fantasmes originaires. Il s’agit bien d’un déterminisme. Quels en sont les conséquences réelles ? Lacan s’interroge sur la génèse de l’objet petit a. Et, cet objet est en effet qq ch d’empirique qui occupe une place transcendantale. Nous pouvons souligner le poids de ces affirmations. Il s’agirait d’un dispositif responsable pour produire une construction capable de soutenir les effets de sens produits par divers discours. Lacan affirme ainsi que la réalité propre au sujet est fantasmatique. Le sujet instaure un espace un monde de l’identique sans espace pour une altérité ou division subjective. Ce que le sujet voit de lui-même et de l’Autre est déterminé par l’objet a. La formule du fantasme ressemble à un concept idéologique.
Qu’en est-il du point de vue de la clinique ? L’ordre du Réel ? Comment traverser le fantasme ? Pour des raisons différentes des kleiniens Lacan indifférencie la symbolisation et la production des fantasmes. Il transforme le fantasme en signifiaction absolue. Impossible d’avoir des symbolisations qui ne sont pas déterminées par la répétition propre à l’objet petit a cause du dési. Lacan affirmera qu’il n’y a pas de sujet du désir. Il y a le sujet du fantasme, c’est-à-dire une division du sujet causée par un objet, c’est-à-dire bouchée par lui, ou plus exactement l’objet dont la cause tient la place dans le sujet La division subjective qui est en même temps un moi empirique agissant dans une spatio-temporalité et un sujet transcendantal qui commande la Loi. La Loi serait d’aspiration universelle et bouchée par l’immanence produite par le fantasme. Bref, il n’y a pas de production qui ne soit production fantasmatique. Les procédures d’universalisation ne tiennent que du fantasme, Tout Universel est pour Lacan une construction fantasmatique. Qu’est-ce que cela pourrait vouloir dire du point de vue de la psychanalsye ? Le structuralisme typique de l’Univers Symbolique, chaîne fermée des signifiants purs et dépourvus de signification, néglige le poids d’une production de la consistance d’une structure sociolinguistique où il ne faut pas nier l’insertion du sujet. Il y a ici négligence d’un univers qui n’aurait pas son fondement dans un fantasme. La fonction du fantasme posera des limites à cette capacité de la symbolisation du non-identique, la négation.
La symbolisation n’échappera pas au domaine du fantasme
Lacan en arrivera à de nouvelles formulations avec les notions de lettres et de mathème. Pour répondre à cette impasse (sém.VII) il avance le concept de sublimation qui n’est pas vraiment une symbolisation, il faudra le comprendre en entrant dans la logique de la négation. Et, d’une façon dialectique, la double négation (qui n’est pas une exclusivité lacanienne) Nous pouvons dire que le NOM de l’être de la CHOSE est la PULSION en tant que désir, désir pur inommable, négativité absolue, ce qui laisse une ouverture pour le problème d’une nomination du désir à l’intérieur de la structure. “Que le désir soit articulé, c’est justement par là qu’il n’est pas articulable (E. Page 804) C’est-à-dire que ce qui ne peut-être articulé dans le symbolique peut-être objectivé par l’imaginaire. La structure compte au moins un élément qui ne sera pas un signifiant articulable et voilà ce qu’il faut pour produire une consistance du Tout. Tel élément d’une objectivation imaginaire et élément d’objectivation qui fonde l’impossibilité d’un fondement.Cet élément est purement idéologique et absolument nécessaire pour le fonctionnement du système, cet élément est illusoire et Lacan affirmera (sém.RSI) “toute consistance est de l’ordre de l’imaginaire) La Chose est pur manque, manque de la Chose et nous pouvons donc toujours passer d’une jouissance toujours impossible à une jouissance de l’impossible.
Conclusion bien personnelle : – Est-ce que la psychanalyse lacano-freudienne par exemple ne j’ouïe sens pour ne pas dire jouït sens ? Les impasses, les apories, les impossibles, les paradoxes, la contradiction psychanalytique : – le fait qu’il s’agit de dire ce qui ne peut pas se dire, – l’équivoque, et puis rejoindre avec humilité peut-être mais désir de connaissance, rejoindre Lionel Naccache
“De la mythologie à la neurologie” ? N’est-ce pas aussi un chemin qui s’ouvre à la psyché ? Nous ne faisons que fictionner, la vérité a visage de fiction, nos représentations nous obligent à interpréter. Comment résoudre les contradictions. Lacan le dit : – Il faut qu’une porte s’ouvre ou se ferme. Ce que tout un chacun aura déjà dit avant lui. Une certaine sagesse populaire a toute sa place dans le “monde des idées”
Cordialement
Marianne Antonis.
Enrichissante cette théorie en effet elle se rapproche de celle énoncée pat le grand Winnicott