Au moment où les psychiatres manifestent leur mécontentement sur les orientations définies par la loi HPST (Hôpital, Patient, Santé et Territoire) susceptible d’être débattue au Parlement dès cet automne, il n’est pas inutile de mentionner la parution chez Erès d’un impressionnant ouvrage collectif « Le souci de l’humain: un défi pour la psychiatrie ». Celui-ci commémore le 50ème anniversaire de la naissance officielle de « l’ASM 13 », un « projet communautaire en santé mentale à orientation psychanalytique » créé en 1958 sous la houlette de Philippe Paumelle, Serge Lebovici et René Diatkine. Initiative aussi novatrice qu’originale, il proposait, pour les pathologies légères comme pour les plus lourdes, une prise en charge pluridisciplinaire et de proximité dans le treizième arrondissement de Paris et qui inspirera aux autorités sanitaires la création ultérieure, par une simple Circulaire du 15 mars 1960, de la psychiatrie de secteur. Certes, la « Chronique de la psychiatrie publique » signée Jean Ayme (Editions Erès, 1995) racontait déjà, rappelle ailleurs le psychiatre et psychanalyste Pierre Delion, la noble aventure de cette « psychanalyse appliquée » destinée à soigner « tous les malades d’un secteur géographique donné en s’appuyant sur les concepts d’une psychiatrie humanisée et fécondée par la psychanalyse ».
Dans son introduction, Alain Braconnier, Directeur du Centre Philippe-Paumelle et membre de l’ASM 13, évoque ce « souci de l’humain » partagé par tous les spécialistes engagés dans cette Association. Ces derniers dénoncent aujourd’hui les menaces qui pèsent sur la qualité des soins et sur celle du rapport entretenu avec le malade, au nom de contraintes économiques et gestionnaires. Serge Gauthier ouvre ces multiples contributions avec un captivant récit historique sur « Philippe Paumelle, homme de pensée et d’action » qui met l’accent sur la volonté du psychiatre fondateur du « Treizième », « d’évincer l’inhumain qui tend toujours à se développer dans le contact prolongé avec la folie ». Suivent une trentaine de textes théoriques ou cliniques rédigés par des auteurs de renom parmi lesquels Christine Anzieu-Premmeneur, Jacques Azoulay, Colette Chiland, Christophe Dejours, Denise Diatkine, Bernard Golse, Philippe Jeammet, Vassilis Kapsembelis, Richard Rechtman, Wilfried Reid, Daniel Widlöcher. Leurs réflexions, parfois d’inégale valeur, développent dix thèmes aussi variés que « Comment soigner les psychoses? », « La psychanalyse précoce et la réversibilité des troubles », « L’importance du langage, du corps et de la symbolisation chez l’enfant », « Les liens entre psychisme et médicament » ou bien encore « Les nouvelles pathologies et les nouvelles formes de soins ».
On retiendra en particulier le texte de Colette Chiland sur le Centre Alfred Binet pour les enfants, les adolescents et leur famille. La professeur émérite de psychologie clinique à l’Université Paris Descartes y décrit les séminaires animés par les deux fondateurs S. Lebovici et R. Diatkine. Une ouverture permanente en direction des approches thérapeutiques aux confins mais toujours reliées à la psychanalyse: psychodrame analytique individuel, thérapie familiale et recours au « case work », technique destinée aux services sociaux afin d’aider le patient à formuler sa demande en dehors de l’instance clinique. Autant d’exemples qui montrent la nécessaire prise en charge globale, celle du patient comme celle de son environnement proche, afin de multiplier les chances de succès thérapeutique. On mentionnera aussi les considérations aiguisées de Florence Quartier sur « L’incertitude en psychiatrie, moteur du soin ». Celles-ci questionnent, dans une approche mêlant psychose et adolescence, les références à la « structure » et s’appuient sur la regrettée Gladys Swain pour mettre en exergue le délicat équilibre entre recherche de sens dans le délire et compréhension de son économie. Un magnifique développement auquel fait écho celui tout aussi brillant de Christophe Dejours sur « Le soin en psychiatrie, entre souffrance et plaisir » et où le psychanalyste montre toute l’étendue des potentialités d’intervention offertes par la « métis », cette intelligence empreinte de sagesse humaine et de ruse divine, contrariées selon lui, par les « obstacles de l’évaluation ».
Nombre de chapitres posent évidemment le problème de l’apparition de nouvelles pathologies dans un contexte psychiatrique assujetti, sur demande hiérarchique, aux récurrentes procédures d’évaluation et aux restrictions budgétaires. Alain Braconnier, Augustin Jeanneau et Daniel Widlöcher réfléchissent ainsi aux évolutions induites dans la conduite de la cure par la dimension médicamenteuse et psychotropique. Neurosciences et psychanalyse « ne s’opposent plus », estime le premier. Elles ouvrent au contraire, précise le second, un « espace inexploré pour le travail psychique » associé à la formule de « plasticité neuronale » citée par le Directeur de l’ASM 13.
Malgré l’atmosphère souvent nostalgique qui imprègne la pensée de ces auteurs, la conclusion se veut optimiste. La crise que connaît la psychiatrie de secteur doit être, en quelque sorte, prise elle-même en charge « hippocratique ». C’est à dire qu’elle doit déboucher sur des réponses inventives. Aucune d’entre elles n’est malheureusement explicitée dans cet ouvrage de référence./.
Nice, le 3 octobre 2010
Jean-Luc Vannier