Cliniques, Paroles de praticiens en institution, – par Jean-Luc Vannier

Cliniques, Paroles de praticiens en institution, Eres, 2011

 

 

 

 

 

Fruit des années d’expériences réalisées au sein du Collège des psychologues de la Division psychiatrie Clinea, la revue « Cliniques » dont le premier numéro, publié chez Eres, est consacré au thème « Contenance et soin psychique » entend apporter à l’usage des spécialistes comme à celui des personnes en souffrance une série de passionnants témoignages sur la prise en charge et la psychothérapie institutionnelles de la folie. Prise en charge « intelligente » traitant « chaque patient à la carte » et où la notion de « contenance » renvoie, en fonction des origines et des parcours individuels, à un « lieu », une « surface », une « limite » ou une « frontière ». Critiquable en d’autres lieux, l’imprécision volontairement prudente de la définition offre dans cette approche la possibilité à chaque patient hospitalisé de « recréer des liens sociaux » et de « réexpérimenter une vie relationnelle socialement adaptée » au sein d’une communauté englobant l’ensemble des malades et des cliniciens. Un tissage progressif, initié dès le moment de « l’accueil » de la personne psychotique dont Pierre Delion nous rappelle qu’elle « dépose des invariants structuraux à son insu tout au long de sa trajectoire transférentielle ». Un enchevêtrement de liens psychiques qui impose des échanges permanents et interprétatifs afin de « mettre en sens tout ce qui n’en avait pas a priori ». Dans cette perspective, l’institution elle-même ne saurait rester neutre : « fonction pare-excitatrice » pour les uns, « réceptacle et conteneur des expressions aiguës des patients hospitalisés » pour les autres, le soin institutionnel s’anthropomorphise, son organisation et son déroulement s’humanisent, animés par une « pensée » de groupes et traversés par des « confrontations » -toujours discutées ensuite- de personnes. « Lieu où l’on n’est pas soigné mais par lequel on est soigné » pour reprendre Jean Oury, cité dans le livret.

 

 

Le champ institutionnel devient alors le lieu où se répliquent les « difficultés spécifiques de chacun des cas et leur réactualisation » à l’image des névroses de transfert en analyse, obligeant une « élaboration sur et pour les patients ». Sans faire, par surcroît, l’économie « d’allers-retours sur des mouvements de l’équipe elle-même » comme le précisent Morgane Billard et Charlotte Costantino dans leur intéressante contribution intitulée « Fonction contenante, groupes et institution soignante ». Catherine Ducarre éclaire, quant à elle, l’actualité posée par la question de l’hospitalisation sous contrainte administrative en rappelant quelques chiffres impressionnants : 40 000 malades mentaux morts dans les asiles français durant les cinq années de l’occupation allemande. D’où son insistance à mentionner les deux principes fondamentaux de la psychothérapie institutionnelle : considérer les malades « comme des sujets à part entière »  et « ne pas cantonner le soin au colloque singulier entre patient et médecin ». Loin de noyer ou de déformer l’affect, le prisme groupal fait office de révélateur : lorsqu’une personne s’exprime dans un groupe, elle « exprime en fait quelque chose du groupe tout entier » et ce, d’autant plus que certains patients délirants ressentent des « émotions partagées » au sein de la collectivité avec une « acuité particulière ». Les équipes soignantes doivent alors, à leur tour, prendre garde aux projections psychotiques qui « clivent l’équipe entre ceux qui surinvestissent le travail et ceux qui se sentent impuissants » à juguler les errances de la folie.

 

 

On lira aussi avec grand intérêt les réflexions pointues de Férodja Hocini et de Christophe Ferveur qui accompagnent l’exposé d’un cas clinique « Alice ou les trésors cachés du pays sans merveille » : croisement des thèmes de la crise adolescente et des mutations de la voix dont les deux auteurs rappellent la dimension psycho-sexuelle en étayant leur étude sur des références aussi nombreuses que précises. Un remarquable écho, si l’on ose dire, aux multiples cris et murmures qui se chevauchent dans la clinique institutionnelle de la folie./.

 

 

 

Nice, le 17 juin 2011

Jean-Luc Vannier

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