La psychologie comme la psychanalyse se sont nourries d’influences extérieures. Pour ne citer que les exemples les plus connus, Lacan a emprunté à Saussure, Freud à la neurologie de son temps et à la philosophie de Nietzsche ou de Schopenhauer et la cognitivisme aux travaux sur l’intelligence artificielle. Etudier la psychologie, c’est donc étudier d’autres disciplines que la psychologie. J’ai choisi quelques ouvrages dans diverses disciplines qui permettent d’éclairer l’étude des profondeurs de l’âme. J’ai essayé de ne pas choisir des ouvrages canoniques (ce sera peut-être pour une prochaine fois) mais des livres qui me semble pouvoir être fécond. J’assume donc le caractère extrêmement subjectif de cette liste.
1. Sciences naturelles
Stephen Jay Gould, Comme les huit doigts de la main
Ce livre compile une série d’articles du célèbre biologiste américain. Il s’agit d’un excellent ouvrage de vulgarisation sur les théories néo-darwiniennes. De plus, il constitue un véritable vivier à comparaisons. Je pense notamment à l’idée selon laquelle l’origine (par exemple la naissance d’une nouvelle espèce) est un moment de foisonnement. De nombreuses mutations apparaissent durant un temps très court. Par la suite, et par le jeu de la sélection naturelle, seules les mutations viables sont conservées. Nous sommes alors aux antipodes de la vision chrétienne qui voit dans un couple unique l’origine de l’humanité. Or ce fantasme de l’origine unique est également présent en psychanalyse où l’on voit en Freud le Père de la psychanalyse.
2/ Physique
Brian Greene, La Magie du cosmos
La magie du Cosmos expose les théories de la physique newtonienne et de la physique quantique ainsi que les dernières évolutions de la théorie des cordes. Premièrement, il s’agit de la meilleure présentation de la physique newtonienne que je connaisse. Ensuite, ce livre montre comment les différentes théories physiques sont sous-tendues par des représentations différentes de l’espace et du temps et il me paraitrait particulièrement intéressant de mettre en rapport la manière dont nous vivons ces deux dimensions et la façon dont la science les décrit. Last but not least, ce livre constitue à mes yeux un modèle quant à sa démarche. L’auteur ne rejette jamais a priori aucune hypothèse. Il peut, par exemple, se demander si le temps existe ou non et essaye de peser le plus objectivement possible le pour et le contre. L’ouverture d’esprit dont fait preuve ce représentant d’une science « dure », souligne par contraste la frilosité qui accompagne, parfois, les réflexions en psychologie et en psychanalyse.
3/ Neurologie
Oliver Sacks, L’Homme qui prenait sa femme pour un chapeau
J’ai toujours été impressionné par la capacité de l’auteur à produire une réflexion qui mette en rapport réalité physique et réalité vécue et, si un livre devait un jour me réconcilier avec la neurologie, il s’agirait certainement de celui-là. L’auteur utilise les notions philosophiques pour ce qu’elles sont, c’est-à-dire des concepts. Loin d’en faire des arguments d’autorité pour justifier ses réflexions, il les utilise comme des outils pour penser le monde, comme des moyens au service d’une pensée et non comme des fins ou comme des objets sacrés.
4/ Philosophie
Après avoir résisté à la facilité en citant Spinoza, je choisirai les deux textes suivants :
– Nietzsche, Ecce Homo
Je conseillerai Ecce Homo pour le parallèle entre la notion de corps chez Nietzsche et la notion de pulsion chez Freud (cf. également P.L.Assoun Nietzsche et Freud). Egalement pour découvrir l’antichambre de la psychanalyse : Je ne sais pas si l’anecdote est réelle ou fictive mais on dit que Freud refusait de lire Nietzsche car cela lui rappelait qu’il n’avait rien inventé.
– Jean-Paul Sartre, L’Etre et le néant, chapitre sur la psychanalyse existentielle
Ce chapitre qui expose la tentative sartrienne de réconcilier la psychanalyse et l’existentialisme, finalement assez méconnu en France, fut beaucoup plus fécond outre Atlantique. Sartre s’oppose notamment à la vision freudienne d’une psyché divisée en différentes instances et cherche à décrire le projet existentiel de chaque sujet.
5/ Critique littéraire
– Jacques Derrida, L’Ecriture et la différance (à préférer à De la Grammatologie trop ennuyeux à mon goût)
Cette série d’articles introduit notamment la notion de differance, c’est-à-dire l’idée qu’il existe à l’origine dans l’écriture un déplacement qui empêche de jamais saisir le sens premier. L’idée de signifiant chez Lacan est à rapprocher de celle de différance chez Derrida, l‘un renvoyant à l‘écriture, l‘autre à la psyché.
– Roland Barthes, Michelet
Texte de Barthes quelque peu tombé dans l’oubli, Michelet constitue à mes yeux le meilleur représentant de la critique psychanalytique, même s’il ne s’en revendique pas. Barthes parvient, en effet, à rêver quelque chose de l’âme de Michelet tout en évitant de la fantasmer. De plus, il dit quelque chose de l’auteur sans pour autant réduire le texte. Ce livre me laisse à penser que la critique thématique est la voie royale pour porter un regard « psy » sur la littérature. Elle permet en effet de chercher l’auteur dans le texte, de l’ouvrir et non de rabattre sur une théorie extérieure ou une biographie.
6/ Sociologie
Gilles Lipovetski, L’ère du vide
Dans cet ouvrage Lipovetski mène une réflexion sur l’homme post-moderne et l’écart qui existe entre les individus de ces trentes dernières années et ceux du XIXe et du XXe siècles. Il y a là quelque chose à tisser avec les évolutions récentes de la clinique et la place grandissante accordée aux états-limites. En effet, le manque de structuration dans ce type de fonctionnement ainsi que la prévalence de l’Idéal du Moi par rapport au Surmoi sont à mettre en parallèle avec la mort des idéologies surmoïques et le remplacement de la loi par la norme.