Entrer en thérapie n’est pas chose facile. Et le chemin est long qui va de la prise de décision à la guérison et de nombreux patients risquent de s’arrêter en chemin. Le drop-out – en français, l’abandon précoce de la thérapie – est ainsi loin d’être un phénomène minoritaire ou négligeable. Il touche de nombreux patients quelque soit leur âge, leur sexe, leur milieu social ou le type de thérapie qu’ils entreprennent. Les chiffres de ce point de vue sont éloquents.
Cet article est inspiré par l’ouvrage de Pierre Gaudriault et Vincent Joly : Construire la relation thérapeutique.
Le drop-out : un phénomène majeur
Un phénomène de grande ampleur
Les premières études portant sur l’importance du drop-out sont anciennes. Carl Rogers s’est penché sur cette question dès 1951. Les études datant des années 50-60 montrent qu’environ la moitié des patients abandonne la thérapie avant la troisième séance. Brandt en 1965 montre même que plus d’un tiers des patients (36 %) ne revient pas après le premier entretien. Ces taux d’abandon très élevé ont été constatés, dès cette époque, pour des types de population très différents témoignant de l’extension du phénomène.Des études plus récentes ont également constaté la précocité de ces abandons unilatéraux de la thérapie. Selon une étude menée par Garfield en 1994, plus de 65% des patients arrêtent leur thérapie avant la 10e séance et, dans plus de la moitié des cas, la durée moyenne d’une thérapie ne dépasse pas 6 à 8 séances (Phillips, 1985).
On retrouve donc des taux semblables et très élevés d’abandon de la thérapie depuis plus de 50 ans. Les chiffres varient selon la définition du drop-out mais l’échelle de grandeur reste sensiblement la même : la moitié des patients met fin à la thérapie après quelques séances. Dans une revue de la littérature datant de 2009, M. Barett résume bien le phénomène. Sur 100 personnes consultant dans un centre de soins, seule la moitié d’entre eux reviendra après un premier entretien d’évaluation, ils ne seront plus qu’un tiers après la première séance de thérapie, 20 d’entre eux dépasseront la troisième séance, et moins de 17 iront au-delà de 10 séances. L’image est saisissante. Elle témoigne de l’importance et de la difficulté des premiers temps de la thérapie.
L’ampleur des chiffres montre également le rôle crucial des premières séances. En effet, comme l’avait déjà montré Salta et Buick en 1989, le taux d’abandon diminue une fois que les patients ont dépassé la troisième séance. Lorsque l’on parle de drop out, il ne s’agit donc pas de patients lassés par une analyse interminable. Il s’agit plutôt de personnes qui n’arrivent pas à entrer dans le processus thérapeutique, reculant juste après avoir fait le premier pas.
Des recherches quantitatives ont étudié le phénomène de drop-out. Mais ces études butent sur des difficultés à définir leur objet. Que signifie arrêter une thérapie « précocement » ? Comment le définir d’une manière claire et identique selon les différentes études ? Depuis vingt ans, les problèmes méthodologiques posés par la définition du drop-out ont souvent été soulignés.
On peut comprendre « abandon précoce » dans son sens purement chronologique. Dans ce cas, il s’agit de désigner la fin du processus thérapeutique au cours des premières séances. Ainsi, la plupart des études définissent le drop-out comme le fait de terminer la thérapie avant un certain nombre de séances. Le problème est que ce nombre varie fortement selon les études. Kolb et al. (1985) définissent, par exemple, l’abandon précoce comme le fait de manquer deux séances consécutivement. À l’opposé, pour Hatchett et al. (2002), c’est le fait de ne pas se rendre à la dernière session prévue.
De plus, un autre problème se pose lorsque l’on retient cette définition. En effet, dans ces études, la thérapie est pensée en terme de durée, mais pas en terme de processus, oubliant par là que la thérapie est avant tout un phénomène relationnel. Ainsi, d’autres études rapportent davantage l’abandon précoce à la relation thérapeutique et ne se réfèrent pas à des repères temporels. Longo et al. (1992), par exemple, voit le drop-out comme le fait de ne pas revenir après un entretien préalable. De la même façon, Pekarik (1992) le définit comme l’arrêt de la thérapie par le patient sans l’accord du thérapeute, quel que soit le nombre de séances.
La multiplication des définitions dans les études empiriques sur le drop-out souligne bien le caractère protéiforme du phénomène. Ces dernières années laissent toutefois un consensus apparaître peu à peu autour de cette notion. Elle pourrait dès lors être définie comme : l’abandon de la thérapie par le patient sans l’accord du thérapeute au cours des premiers temps de la thérapie.
Si les abandons précoces ont été peu théorisés, c’est sans doute aussi parce que les thérapeutes ont du mal à l’appréhender. Le matériel semble manquer. Le patient est venu, deux fois, trois fois, et n’est jamais revenu. Comment expliquer ce passage à l’acte ? Pour bien faire, il faudrait le revoir, chercher à comprendre avec ses explications ou ses silences ce qui s’est joué dans ce mouvement de retrait. La pensée aurait quelque chose sur quoi s’appuyer. La béance de la rupture se laisserait encadrer en un avant et un après à partir desquels il serait plus aisé de penser ce qui a fait rupture entre temps. Mais il s’agirait alors d’acting-out et non de drop-out, de passage à l’acte et non d’abandon précoce.
Le drop-out laisse ainsi le thérapeute seul devant une décision qu’il ne partage pas et à laquelle il ne s’attendait pas toujours, souvent sans moyen de le comprendre ou sans confirmation des hypothèses qu’il peut faire pour le rationaliser, après coup.
Cependant, malgré les difficultés conceptuelles et méthodologiques que nous venons d’évoquer, l’importance du phénomène du drop-out a poussé un certain nombre de chercheurs à en étudier les causes. Ce sont majoritairement des études quantitatives portant sur un grand nombre de patients. À quoi ont-elles abouti ? C’est ce que nous verrons dans notre second article : les causes du drop-out.
Comme nous l’avons vu dans notre précédent article, l’abandon précoce de la thérapie est un phénomène de grande ampleur. De nombreuses études quantitatives, portant sur un grand nombre de patients, ont abordé sur cette question épineuse.
Pourquoi le drop-out ?
Caractéristiques socio-démographiques
Les premières recherches ont donc commencé par étudier le taux de drop-out en fonction de critères sociodémographiques simples : l’âge, le sexe, puis les origines ethniques et le niveau socioculturel.
L’examen de ces critères a donné des résultats souvent contradictoires ou vagues. Durant les années cinquante à soixante-dix, il est apparu que le sexe ou l’âge n’avait pas d’influence significative sur le taux de drop-out. Par la suite, les études sur ces critères sont devenues moins nombreuses. En 1993, Wierzbicki et Pekarik concluaient même qu’elles étaient inutiles, les résultats étant systématiquement trop faibles pour être statistiquement valides. Certaines études américaines portant sur les origines ethniques ont montré que les personnes appartenant à des minorités avaient plus tendance à abandonner la thérapie, mais là encore, ces résultats ne sont pas statistiquement significatifs.De la même façon, on s’est demandé si les patients ayant un faible niveau socio-économique témoignaient d’une tendance plus marquée au drop-out mais les résultats furent peu significatifs.
Les caractéristiques propres aux patients d’abord très étudiées sont donc peu à peu apparues comme de mauvais prédicteurs du drop-out. Le fait qu’un patient soit jeune ou vieux, homme ou femme, blanc ou noir, favorisé ou non sur le plan socio-économique, n’a pas véritablement d’incidence sur sa propension à abandonner la thérapie.
Ces premières études ne sont toutefois pas sans intérêt pour nous. Elles montrent que le drop-out ne peut pas être expliqué par des facteurs simples portant sur les seules caractéristiques des patients.
À l’inverse, si l’on avait étudié, dans le domaine des pratiques sociales, l’impact d’une publicité, le choix de certains produits, de destinations de vacances…, des différences seraient apparues en fonction de l’âge, du sexe, du milieu socioculturel, etc. De même, s’il s’était agi d’une étude épidémiologique, ces mêmes critères simples auraient été discriminatifs : la grippe touche davantage les enfants, le cancer du côlon touche davantage les hommes, certaines maladies liées aux conditions d’hygiène touchent davantage certaines catégories sociales, etc. Le modèle des études épidémiologiques ne peut pas être directement transposé à l’étude du drop-out. Ce phénomène ne relève pas de variables aussi générales.
Type de troubles psychiques
Devant cet échec, les chercheurs ont étudié des facteurs plus spécifiques et se sont centrés sur l’influence du type de trouble psychique sur le taux de drop-out. On peut en effet penser que des patients souffrants de troubles graves auront plus besoin de travailler sur eux-mêmes et auront donc plus tendance à poursuivre leur thérapie.
Ainsi, de nombreuses études ont cherché à établir un lien entre le diagnostic psychiatrique et la tendance au drop-out, mais les résultats ont été le plus souvent contradictoires.
Dans les années 70, des études ont montré que les patients psychotiques avaient tendance à abandonner la thérapie. Mais d’autres études plus récentes sont parvenues à des résultats opposés qui tendraient à montrer que des patients souffrant de troubles plus graves ou de troubles associés seraient plus souvent susceptibles de mettre fin précocement à la thérapie. Concernant les patients souffrant de troubles moins sévères, les études ne parviennent pas non plus à des résultats clairs. Une étude a montré qu’ils étaient plus nombreux à abandonner les soins, mais, l’année suivante, une autre étude obtenait des résultats inverses.
Comment expliquer ces contradictions ? Il ne s’agit pas de résultats non concluants, comme dans les études précédentes, mais de résultats opposés les uns aux autres.
On peut penser qu’étudier les troubles des patients revient à oublier qu’une thérapie met en lien un patient et un thérapeute. Or l’attitude de ce dernier est variable selon des critères qui lui sont propres : il peut être plus à l’aise avec certains types de pathologies s’accordant mieux à son tempérament ou son référentiel théorique. N’est-ce donc pas au niveau de l’interaction entre le thérapeute et le patient que les causes des abandons thérapeutiques précoces devraient être recherchées ?
Un fait va déjà dans ce sens. Dans les études portant sur les troubles des patients, un seul critère fait véritablement l’unanimité : les patients souffrant de trouble de la personnalité, les patients au comportement agressif ou passif-agressif et les patients hostiles ont plus tendance à abandonner la thérapie. Aapro et al. (1994) montrent que les patients addictifs, antisociaux, manipulateurs ou impulsifs ont tendance à l’abandon précoce ; selon Ogrodniczuk et Piper, les patients borderline sont portés à l’interruption précoce et au passage à l’acte dans la thérapie analytique (1999).
Dans ces cas difficiles, les troubles psychologiques pourraient avoir une grande influence sur la mise en place de l’alliance thérapeutique. Les patients souffrant de trouble de la personnalité ou des patients hostiles auront plus souvent tendance à se montrer méfiant, en retrait ou ambivalent dans leur rapport avec le thérapeute. Et c’est bien parce que ce type de troubles a un effet direct sur la relation thérapeutique qu’il va favoriser le drop-out.
Demande, alliance, transfert
Les différentes études que nous avons évoquées jusqu’à présent nous ont déjà mis sur la voie : les caractéristiques du patient thérapeute en elle-même ne peuvent à elles seules rendre compte du drop-out. C’est au niveau de la rencontre entre le thérapeute et le patient et de la relation thérapeutique puis quelque chose du drop-out peut prendre sens. Les études portant sur la relation thérapeutique ont toutes soulignées son importance.
Premier de ces critères, les préconceptions du patient portant sur les thérapeutes. Grimes (1989) a montré que les patients qui mettaient fin précocement à la thérapie voyaient leur thérapeute comme quelqu’un de moins compétent, ou de moins crédible, que ceux qui la poursuivaient. De même, la façon dont le patient perçoit le fait d’entreprendre une thérapie aura une influence sur le taux d’abandon : les patients ont plus tendance à mettre fin à la thérapie, s’ils pensent que les centres de soins sont assez inefficaces ou s’ils se sentent mal à l’aise à l’idée de voir un thérapeute (Edlund & al., 2002).
Plusieurs études (Beck et al. 1987, Moras et al. 1991) ont montré que les attentes des patients concernant la durée du traitement pouvaient être considérées comme un facteur permettant de prédire le drop-out. Les patients qui s’attendent à rester au moins une à deux séances en thérapie étaient plus souvent susceptibles de revenir après la première séance que ce qui pensait qu’il ne dépasserait sans doute pas le premier entretien (Pekarik et al. 1986). Tout se passe alors comme si ce que le patient imaginait quant à la durée du traitement venait à se trouver réalisé.
Second critère : l’alliance. L’intérêt pour le concept d’alliance est apparu outre-atlantique à partir des années 1970 après que des recherches aient montré que la majorité des thérapies entraînaient des gains thérapeutiques équivalents malgré des théories et des pratiques différentes. Dans une perspective a-théorique, l’alliance a ainsi pu être considérée comme un « facteur commun » à toutes les thérapies par opposition aux « facteurs spécifiques » (Horvath et Luborvski 1993). Dès 1974, Bordin a mis en lien la pauvreté de l’alliance thérapeutique et les abandons thérapeutiques précoces. Par la suite, d’autres études ont montré que l’évaluation de l’alliance permettait de prédire avec une grande précision le risque d’abandon précoce. Les patients n’ayant pas eu le sentiment de mettre en place une union positive avec le thérapeute ont peu de chance de revenir et ils mettront bien plus souvent fin à la thérapie de façon prématurée ou unilatérale (cf.Eames & Roth, 2000; Horvath & Greenberg, 1989).
Dernier critère, tout aussi essentiel mais plus difficile à faire émerger dans des études quantitatives : le transfert. La perception du transfert négatif par les thérapeutes est, en effet, un prédicateur particulièrement efficace du processus thérapeutique et de son issue comme l’ont montré Woodhouse et ses collègues en 2003. Cette dimension transférentielle ne doit pas être réduit aux simples projections du patient sur l’analyste. Comme le remarque Alain Ferrant : « le patient choisit l’analyste en fonction d’une certaine communauté et d’une complémentarité pressenties inconsciemment, l’analyste choisit également le patient ». Or, « lorsqu’un sujet n’a pas suffisamment rencontré d’écho dans ce qu’il faisait, pensait et éprouvait lorsqu’il était enfant et totalement dépendant de son environnement, il vient tenter de se faire sentir, voir, et entendre par un autre (Roussillon, 2007). Dans de tels cas, la dimension transférentiel en ce qu’elle vient rejouer quelque chose qui est de l’ordre de l’après-coup, réactive, dans la répétition, les abandons du passé.
Pour conclure, ces différents résultats empiriques montrent combien l’abandon thérapeutique précoce ne peut être compris qu’à travers le prisme de la relation thérapeutique. Il ne s’agit pas d’une difficulté liée à tel type de population, de trouble ou de thérapie, mais de l’échec de la mise en place d’une relation interpersonnelle. Ainsi, la difficulté à définir ou à conceptualiser les drop-out tient sans doute en partie dans ce qu’il ne s’agit pas, pour le théoricien, de penser l’abandon thérapeutique précoce mais la pluralité de ses manifestations. En effet, l’abandon précoce renvoie à la rencontre thérapeutique dans ce qu’elle a de plus singulier, de moins généralisable. Elle pointe la singularité de la clinique, sa résistance à tout effort de réduction.
Pingback : Dossier sur la psychothérapie | Paradoxa
Je trouve cela assez intéressant… Pour assister à de nombreux entretiens, je vois les alliances potentielles, possibles ou impossibles…
Il y a des alliances possibles ou totalement impossibles qui sont détectées dès le début par le psy, il s’agit des doubles contraintes…
Si le patient met le psy dès le départ dans une double contrainte dans l’expression de sa problématique, c’est souvent mal parti.
Elle reviendra tôt ou tard pour faire échec à la relation d’aide.
Ouais, c’est plutôt une mésalliance, il y a aussi des psy avec qui on n’a pas envie de s’allier, même si tout le monde vous dit qu’il est bien. Comment dire ça : je devrais vous faire confiance mais je sens que je ne peux pas!
Ou alors…
« Tout va mal, aidez moi je vous en prie, sauvez la situation, votre aide est ma seule bouée de sauvetage. La situation est grave »
« Faites en sorte que cela change (…pour lui, elle, eux) mais que surtout rien ne change pour moi ».
Injonction paradoxale > impuissance chez le psy.
+
Injonction à plus d’empathie chez le psy… jugé incompétent à comprendre la situation et la détresse.
= Double contrainte
N’essayez surtout pas mesdames et messieurs les psy, de faire plus ou mieux pour répondre à ce type de demande…
Seul l’humour peut vous sauver, et parfois l’ironie mordante (lorsque la situation est vraiment, et souvent grave).
« Seul l’humour peut nous sauver… », je répondrai :
Hum, Uvula, soeur voluptueuse !