Le monde du rêve, le monde des enfants, Conrad Stein – par Jean-Luc Vannier

Le monde du rêve, le monde des enfants, Conrad Stein, Aubier Psychanalyse, 2011

 

« On est psychanalyste lorsque ce que l’on a entendu fait jaillir une idée nouvelle ». Cette affirmation sur une approche apparemment restrictive sinon exigeante de l’analyse, ouvre l’un des passionnants séminaires d’octobre et de novembre 2002 initiés par Conrad Stein à Espace analytique et que les Editions Aubier viennent de publier un an après la disparition de cette personnalité hors du commun. Entendu ou lu : ce qui frappe avec les trois grands chapitres de ce recueil « Le monde du rêve », « Le monde des enfants » et « Dans l’univers de la séance » réside dans la richesse foisonnante des associations de l’auteur qui, presque à chaque ligne, apostrophent, questionnent et éclairent l’expérience de tout clinicien.

Encore convient-il se laisser appréhender par l’idée de l’autre : ce que seul l’enfant au fond de chacun d’entre nous est capable de faire. Assertion qui rejoint le fil rouge de cet ouvrage et, au-delà, de la conduite de la cure et des progrès d’une analyse pour celui qui fut, avec Piera Aulagnier, le fondateur de la revue L’Inconscient : « rendre à la vie, rétablir sans sa gloire le bébé écrasé que tout en chacun porte au fond de soi ». Quitte à privilégier le « psychanalyste poète » au psychanalyste savant : dans une conférence donnée en 1981 à « Confrontation », l’auteur critiquait « l’hypocrisie professionnelle du psychanalyste qui figure quasiment dans les règlements de l’Association Psychanalytique Internationale » et qui « s’oppose au travail de l’analyse ».

Repérant dans les écrits de Sigmund Freud « l’enfant réel et l’enfant imaginaire », Conrad Stein montre tant dans son célèbre commentaire d’un fragment de l’Interprétation des rêves -« Le bois de l’holocauste : sur l’écriture de Freud »- que dans les cours donnés à l’Université de Paris-VII en février 1985 et reproduits dans l’ouvrage -« Qu’est-ce qu’on t’a fait à toi pauvre enfant », « Le nourrisson savant selon Ferenczi » ou les « Erinyes d’une mère »-, toute la dimension essentielle de l’infantile dans la psyché du patient. Au point, dans ses écrits tardifs, de revendiquer pour « lui-même et en tant qu’analyste, la place de l’enfant » admet Monique Schneider à propos de son séminaire sur la Traumdeutung. Rien qui ne soit en contradiction avec « His Majesty the baby » du Viennois, figure du narcissisme primaire de l’enfant.

D’une rare érudition, Conrad Stein nous fait partager l’étendue de ses références littéraires ou philosophiques : du « Roi des Aulnes » de Goethe à « Œdipe Roi » ou « Œdipe à Colone » dans l’œuvre de Sophocle, de l’autoanalyse de Freud dans « l’Interprétation des rêves » aux perlaborations souffrantes de son « plus fidèle disciple Ferenczi » sur les relations ambivalentes entre adultes et enfants, des réflexions de Schopenhauer sur le fait que « chacun porte en lui la figure d’Œdipe autant que celle de Jocaste » jusqu’à la lecture du livre de Serge Leclaire « On tue un enfant », puisant enfin dans sa clinique et dans ses réactions contre-transférentielles jusqu’à la mention d’une comptine enfantine pour les petits Anglais qui semble directement inspirée de la légende de la Sphinx « Riddle me, riddle me… », Conrad Stein pointe méticuleusement dans chacune de ses illustrations « cet enfant mythique » présent chez chacun d’entre nous et qui « tend à s’accomplir dans la cure ». Tout comme dans le « sommeil ».

Le créateur de la revue Etudes freudiennes tient même pour une certitude le fait que l’interprétation des rêves par le patient ne constitue pas seulement la « voie royale d’accès à l’inconscient » mais conduit en outre à « la connaissance de l’infantile » : la principale source du rêve « remonte toujours à une source de la petite enfance » et les souvenirs peuvent trouver leur origine -ne serait-ce que par la construction ultérieure réalisée sur le divan- dans la vie intra-utérine.

Au cours d’une analyse, l’amour de transfert indique, selon l’auteur, que « l’enfant est toujours vivant en nous » et que ce dernier est bien « né d’une mère » : véritable impact traumatique, bien plus que celui de la naissance selon Rank. Ainsi, « habiter son corps », signifie « faire advenir l’enfant tout puissant » qui s’y loge. D’où la réhabilitation, dans une certaine mesure, de Sandor Ferenczi : le Hongrois était habité par la « quête d’une innocence perdue, par le désir somme toute de restaurer l’homme dans sa condition supposée d’enfant de rêve ». Faut-il, dans ce saut qualitatif, déceler un premier écart avec les réflexions fondamentales du fondateur de la psychanalyse ? Ce dernier n’avait-il pas fait sienne la citation du poète anglais William Wordsworth : « l’enfant est le père de l’homme » ?

Signalons également la parution aux Editions Champs Essais de chez Flammarion, de « L’enfant imaginaire » du même auteur.

Nice, le 10 octobre 2011

Jean-Luc Vannier

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