Paris V et la forclusion du nom de Lacan

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      Un fait m’a frappé depuis que je suis dans ce temple du savoir qu’est la faculté de Paris V, c’est l’ouverture de son enseignement – particulièrement durant les premières années – à des disciplines dont l’utilité, pour le futur clinicien ou le travailleur social que sera le plus souvent l’étudiant de psychologie, peut prêter à discussion. Ainsi avons nous eu la chance de pouvoir découvrir des disciplines telles que l’ethnologie, la psychologie sociale, la psychologie différentielle ou l’analyse statistique des données. Nous pouvions même nous initier à la linguistique ou à l’utilisation de « l’outil informatique ». Néanmoins, un invité semble avoir été oublié dans ce vaste carrefour de tous les savoirs, il s’agit de Jacques Lacan. Mais, me direz-vous, cet oubli ne doit être que passager et rapidement réparé lors des enseignements plus spécialisés des Masters de Psycho-Pathologie ? Ben non. J’ai beau chercher toujours pas de trace, dans l’intitulé du plus petit cours, du plus célèbre des psychanalystes français. Essayons donc de comprendre ce que peut signifier cet oubli. 

    La première manière d’interpréter ce manque dans l’enseignement de Paris V est de penser qu’au vu de la foultitude de connaissance que doit acquérir le futur professionnel qu’est l’étudiant de psychologie, il n’y a plus de place pour un cours sur Lacan. Néanmoins, en France près d’un psychanalyste sur deux est lacanien. Il n’est donc pas absurde de penser que pour comprendre ce que diront nombre de ses futurs collègues, il pourrait être utile à l’étudiant de psychologie de connaître quelques uns de ses concepts. En tout les cas, il peut ne pas sembler absurde de penser que cela lui sera plus utile que la connaissance de la psychologie sociale ou différentielle, de la linguistique ou de l’ethnologie (car, permettons nous de nous répéter, il n’existe pas même une option découverte sur la pensée de Lacan). De plus, le célèbre séminariste est un des monuments de la culture française et son influence s’est étendue bien au-delà des frontières hexagonales. Sa connaissance, d’un point de vue strictement culturel, pourrait donc ne pas être inutile. Notre première hypothèse doit donc être rejetée : d’un point de vue professionnel ou culturel, l’oubli de Lacan est une connerie. Il nous faut donc continuer notre enquête.

   La seconde possibilité qui, immédiatement, vient à notre esprit, est de penser que la théorie lacanienne n’a aucun intérêt. Lacan était complètement demeuré et le succès qu’il a pu connaître à son époque relève de techniques d’hypnoses collectives extrêmement poussées ou de phénomènes de folie collective encore difficiles à comprendre – le reste de ses adeptes ne devant être que des nostalgiques à demi séniles. Pourtant, au cours de nos trois années de licence, plusieurs de nos partiels ont porté sur les théories de Pavlov, dont même les néo-comportementalistes les plus acharnés s’accordent à dire qu’elles n’ont de valeur qu’historique et qu’elles représentent, au vu des connaissances actuelles, un tissu d’approximation frisant l’imposture intellectuelle. De plus, si Lacan n’est qu’un charlatan, rien de plus simple que d’intituler un cours « Lacan est un con » et de montrer à travers une analyse poussée en quoi ses théories ne sont qu’un tissu de mensonge dont il convient au plus haut point de se méfier. Ou tout au moins, d’expliquer lors des cours de présentation de la psychanalyse en quoi le lacanisme est un dévoiement de la pensée freudienne qu’il convient de condamner. C’est du moins ainsi que fonctionne toute science – même lorsqu’elle est humaine et même lorsqu’elle est sociale. 

    Prenons l’exemple de Lanson en critique littéraire (qui est pourtant loin d’être une discipline « objective » et qui est parcourue par de multiples courants) : Pas un cours sur la pensée moderne du texte et de l’auteur ne manquera de rappeler en quoi elle dépasse et s’oppose aux théories de Lanson. Les exemples ne manqueraient pas dans presque toutes les disciplines. Les théories passées et dépassées y sont présentées et critiquées. Là encore, notre hypothèse ne tient pas : si Lacan était un dément, il serait aisé de le démontrer et les professeurs de notre charmante université n’auraient pas manqué de le faire.           

   À ce moment de notre enquête, il convient de nous rendre à l’évidence : la pensée lacanienne est déniée dans l’enseignement de Paris V ; non pas refoulée mais bel et bien déniée. En effet, le refoulé est ce qui fait retour dans les mots du sujet. Or de Lacan nul retour dans l’enseignement de notre université. Il en est absent, tout entier. Le psychanalyste n’est pas même insulté au détour d’une phrase, ce qui serait pourtant de bien meilleur augure car, rappelons-le, la disputatio est l’ancêtre du dialogue. De Lacan, rien ne doit être dit, rien ne doit en être pensé dans l’enceinte de notre université. Cette pensée autre, cette pensée de l’autre n’a pas sa place. Cette manière de ne pas reconnaître l’autre, celui qui n’est pas soi, – et qui donc ne pense pas comme soi – vous l’avez sans doute reconnue, est la manière de penser du psychotique. Contrairement au névrosé il ne refoule pas une pensée qui ferait retour. Il ne ressasse pas, par exemple, à longueur de cours, sa haine du frère ennemi. Non, il le rejette hors de sa conscience. Ainsi, une institution, dont nombre des enseignements se fondent sur la pensée psychanalytique et qui dénie une pensée aussi marquante dans l’histoire de la psychanalyse, est-elle une institution malade, une institution psychotique. Les mots peuvent paraître forts, je n’en trouve malheureusement pas d’autres pour décrire pareille situation. Symbole architectural de cet enfermement, les bâtiments de Paris V sont à Boulogne, loin des autres lieux de réflexions universitaires. Ici le psychologue reste avec les siens. Nul risque de devoir affronter une pensée qui ne serait pas la sienne, nul risque de ne pas être conforté dans ses préjugés, dans ses modes de pensée. Dès lors, nul doute que l’étudiant de Paris V sera bien formé pour comprendre l’infinie variété des troubles de l’âme humaine. Nul doute qu’il aura la capacité de toujours interroger ses schèmes de pensée pour pleinement appréhender le réel. Devant pareil déni, pareil interdit de pensée, de parole, nous parlerions en politique de fascisme – car le fascisme est le régime qui, comme dans l’œuvre de R.Bradbury, Fahrenheit 451, brûle, fait disparaître les pensées hétérodoxes. S’agissant du comportement d’un individu, nous parlerions de folie. Mais comme toutes les folies institutionnalisées, celle-ci reste invisible de l’intérieur, elle ne brûle rien, elle se contente d’un petit oubli, de presque rien.  

Vincent Joly

7 réflexions sur “Paris V et la forclusion du nom de Lacan”

  1. Bravo Vincent!
    Joli pamphlet qui termine en beauté sur la situation géographique du petit village freudien qui résiste…

    Seulement j’en connais moi des professeurs qui disent que Lacan est un con, au moins un à paris 5, je te le dirai la prochaine fois que l’on se voit, car écrire un nom dans un blog reste diffamatoire…

    Bravo encore pour ce blog rafraichissant

  2. Bien entendu, Vicent Joly, soulève un coin du voile sur ce qui est la pente principale de la formation universitaire des psychologues et qui ne fait que prolonger celle de la clinique de terrain, à savoir, le discours des uns s’étaye sur l’ignorance de celui des autres. C’est une question inquiétante chez des spécialistes de l’écoute et du discours. Ceci va, dans le pire des cas, jusqu’au négationisme, c’est ce qui semble se produire, selon Vincent, à Paris V. Dans d’autres cas, on pourrait parler plutôt d’ostracisme des idées ou de xénophobie des idées, d’excommunication, selon la référence qu’on voudra. Par exemple, il faut savoir aussi que, dans le même temps, en ce deuxième semestre 2008, le Pr Christian Hoffman se permet de proferrer ceci dans un cours officiel et publique : « je vous vous montrer que les TCC ne sont pas des psychothérapies… Que les TCC, c’est ce qu’on donne aux chiens, c’est ce qu’on jette aux chiens, c’est le retour de Pavlov et le conditionnement des chiens… » (trascription écrite du cours). Je ne suis ni lacanien ni cognitivo-comportementaliste. Mais je suis choqué par ce genre de discours totalitaire dans des universités laïques et démocratiques. Les pratiques sectaires ne sont pas loin.

  3. Dire que Lacan est un con ou que TCC = conditionnement… relève bien de l’insultant. MAIS : si l’un ou l’autre se justifie sur ces affirmations. A la limite, Mr X. de Paris V peut tout à fait argumenter sur la connerie de Lacan et ouvrir ainsi un débat d’idées. De même, Mr Hoffman peut légitiment défendre la thèse selon laquelle les TCC répètent le conditionnement pavlovien (il n’est d’ailleurs pas le seul à le penser, et d’autres au moins ce sont d’expliquer sur cette idée).
    Bref : ayons des échanges idéologiques radicaux ! et refusons dans le même temps le totalitarisme d’une omnitolérance désaltér(is)antes 🙂 !

  4. Bonjour Monsieur Joly,
    C’est bon de lire vos commentaires sur le « déni » de l’enseignement de Lacan. J’ai soutenu ma thèse de doctorat en psychopathologie en septembre 2007 à Paris V – Institut Piéron – et inutile de dire que ce fût « étrangement inquiétant »…je ne peux décrire cette mise à mort du Sujet (j’en ferai peut-être un pamphlet) ! je fus affublée d’étranges quolibets entre autre celui d’être « lacanienne » !! Je précise l’immense courage de ma directrice de thèse puisque mon travail soulevait la question du déni des racines hébraïques de la culture occidentale à la Sorbonne !
    Bien sûr…tout ceci pose la question de l’enseignement de la psychanalyse à l’Université qui est loin d’être simple !
    J’ai pris beaucoup de plaisir à lire votre commentaire. Cordialement à vous
    Dr M. Gaignard

  5. Bonjour,
    Comment distinguer Croyances et Raisons ?
    Croyances et Désirs ? Est-ce que le Moi ne se donne pas ses propres raisons ?
    « Moi la Psychanalyse » par exemple ? N’est-ce pas très autoréférentiel ?
    Pas d’autre ouverture que « Moi la Psychanalyse » Avec certains psychanalystes comme Hoffmann par exemple nous devrions croire que des patients sont aussi stupides que de se laisser traiter comme des chiens.
    Mais qui bave de rage de voir son terrain envahit si ce n’est la psychanalyse ?
    Bon, s’il s’avère nécessaire de débattre pourquoi cracher du venin ?
    Savoir se plier à certaines exigeances actuelles qui implique tout de même une coopération multidisciplinaire, qu’est-ce qui fait que « Moi la psychanalyse » y résiste ? Je vous propose d »écouter Lionel Naccache
    De l’inconscient fictif à la fiction consciente
    • NACCACHE Lionel
    http://www.canal-u.tv/producteurs/college_de_france/dossier_programmes/colloque_neurosciences_et_psychanalyse_college_de_france/de_l_inconscient_fictif_a_la_fiction_consciente

    Personnellement au fur et à mesure que j’avance je rejoins de mieux en mieux Lionel Naccache et surtout lorsqu’il explique qu’en fait Freud n’aurait pas découvert l’inconscient mais le conscient.

    Merci de votre attention
    Marianne Antonis

  6. Hegel a exhumé la conscience à son dernier terme dans la « Phénoménologie de l’Esprit ». Hyppolite a contribué dans son intervention sur la Verneinung, à relier où il y a lieu. L’intelligence française dans un courant de sa meilleure époque, à travers Lacan, a rayonné en exhumant un héritage Allemand… La psy doit aujourd’hui beaucoup trop à une discipline qui la déterminait depuis le romantisme allemand, ses aléas et ses convulsions ! Nous sommes restés quelquefois ses traducteurs étêtés, ses porteurs d’eau… inconscients et dépassés DES LE DEBUT. C’est ainsi que les choses ont atteint un terme inévitable en 1981. Place rendue publique mais évidée par ailleurs.

  7. « Malgré ce qu’affirme l’auteur, le créateur de la « passe » se plaisait, par surcroît, à « occuper la scène » et ne laissait guère quiconque lui ravir cette place ! Le verrouillage sectaire d’enseignements lacaniens dans certaines des Universités françaises en témoigne encore aujourd’hui. »cf J-L Vannier in Israël boiter n’est pas pécher.

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