Psychanalyse des blogs. L’importance de l’écriture.

Jisee a publié avant les vacances un article sur internet et la psychanalyse. Pour prolonger sa réflexion et le débat sur les rapports entre internet et la psychanalyse, j’aimerais étudier la place de l’écriture dans les forums. En effet, avant d’être des groupes, ils sont, me semble-t-il, des groupes écrits.

 

La place de la secondarité, de l’élaboration et du décalage temporel m’apparaît ainsi centrale dans les forums ou les blogs suscitant des discussions. Lecteur régulier de Sportvox, par exemple, je suis surpris du nombre d’agacements, d’incompréhensions liées au fait que le message écrit aurait été mal compris par celui qui y répond ou n’y répond pas. Je pense que les querelles sur les forums sont loin d’être identiques à celles qui peuvent se produire dans un groupe « non textuel ».

Il me semble que les notions de « parole » et d’ « écriture » telles qu’elles ont été définies par J. Derrida permettent d’éclairer la spécificité du groupe écrit.

Pour le dire en quelques mots, J. Derrida a parlé de phonocentrisme pour définir la priorité accordée à la parole au détriment de l’écriture. Cette parole est pensée comme « proximité de la pensée à elle-même ». D’où l’idée, en psychanalyse qu’elle serait l’une des voies d’expressions de l’inconscient (par les lapsus notamment). L’écriture témoigne au contraire d’une distance, d’un écart du sujet avec lui-même et avec l’autre. Derrida a parlé de « différance » pour désigner cet écart propre à l’écriture. Parler d’écriture, c’est souligner que tout énoncé s’espace, se temporalise et qu’entre la pensée et la trace écrite il existe un écart.

Les implications de cet écart entre pensée et écriture, redoublé par celui qui sépare l’écrit de sa réponse, peuvent être une clef pour penser la spécificité du groupe dans un forum. Les phénomènes repérés dans le fonctionnement des groupes « non textuels » ne peuvent donc être tout à fait les mêmes que ceux des groupes « textuels ». Les mouvements inconscients ne sont plus aussi directs que dans les groupes « réels », les jeux de masques ou les questionnements sur sa propre identité y sont plus importants, par exemple. Dans le groupe écrit, « nous » est un autre (au sens où l’écriture contient cette altérité).

Plus que dans sa virtualité, comme la psychanalyse l’écrit souvent, la spécificité du groupe sur un forum résiderait donc dans sa textualité et dans l’écart qu’elle implique entre soi et son écrit. Si cette hypothèse s’avérait féconde, elle nécessiterait sans doute pour la psychanalyse d’aller interroger d’autres champs de réflexion.

 

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10 réflexions sur “Psychanalyse des blogs. L’importance de l’écriture.”

  1. Merci ton article arrive à point nommé 🙂 car je prépare un article sur un service de conversation publique en ligne qui passe pas par l’écrit mais par webcam : seesmic. Justement ça me permettra d’ouvrir vers la question de l’écrit. car selon moi le vidéo-posting amène une toute nouvelle dimension.

    je pense que cet écart est lié aussi au langage du corps (tonalité, regards sourire,posture etc) qui est compensée par l’importance des smileys. Il est étonnant de noter que sans smileys un message peut devenir plus ambigüe.

  2. Oui en effet. le smiley fonctionne comme un marqueur d’émotion très puissant 🙂 . 🙁 Notamment quand il s’agit de l’ironie 😉 L’ironie demande de bien connaîter son lecteur et comporte toujours un risque (celui d’être mal compris). Le smiley lève en partie ce risque.
    En tout cas je suis impatient de lire ton article 🙂

  3. euh jisse, il faut twitter les articles plus rapidement ! 🙂
    Le smiley me semble être l’exemple paradigmatique de la régression formelle telle que Freud la décrit dans les rêves : plutôt que des mots, une image

    Je ne pense pas que les mouvements de groupe soient moins directs en ligne qu’hors ligne. Il me semble même que c’est le contraire. Les mouvements de collage, d’identification projective, de confusion sont légion. D’ou l’accrochage a tout ce qui peut représenter mon identité – mon pseudo, mon avatar

    C’est vrai que l’écriture est une distance. La parole l’est tout autant. Elle serait plus secondarisée que la parole si tout le monde prennait le temps de se relire et d’attendre 6 heures avant d’appuyer sur le bouton « envoyer ». Mais combien le font ?

    Vincent, est ce que ça te dit de nous rejoindre sur seesmic pour que l’on puisse travailler ces questions. La conversation vidéo offre des avantages que l’écrit n’a pas, et en mélant les deux, on a des points de vue plus complexes

    D’ailleurs pas que vincent : tout l’équipe de paradoxa est bienvenue ! 🙂 (oui, régression !)

  4. C’est vrai Yann, que des puissants mouvements peuvent apparaitre sur le net rapidement par exemple en terme d’illusion groupale.

    Pour le twitt c’est un feed de psychoring reporté sur twitter via twitterfeed.

    En plus week end chargé dont samedi à L’AG de l’OMNSH.

  5. Merci pour l’invitation Rastofire 🙂 Par contre je sens que je vais passer pour un inculte mais je n’ai jamais utilisé Sessmic, donc je sais pas comment faire pour vous rejoindre…

  6. Bonjour!

    Je suis nouveau dans le débat, mais j’aimerais apporter mon grain de sel. À mon avis, le smiley vient « suppléer » l’oralité dans la mesure ou il apporte des marques contextuelles (effectivement le ton, la posture, l’expression faciale) qui est autrement absente. Je crois que le contexte est central dans l’interprétation/la signification. C’est grâce au contexte que le récepteur peut savoir sur quelle « encyclopédie » ou registre il doit s’appuyer pour interpréter la proposition qui a été émise. De la même manière, C.S. Peirce et Umberto Eco (dans l’ordre, le second étant largement tributaire du second) identifient au niveau sémiotique l’opération de méta-abduction qui consiste à parier sur le résultat final sans obtenir la validation des étapes intermédiaires. Cela m’apparaît important dans la mesure ou le contexte (pour suivre Derrida) est irrémédiablement ouvert et jamais pleinement déterminable. Il y a donc, dans l’interprétation (on le voit extrêmement bien avec l’ironie, ou tout autre expression qui repose fortement sur la détermination de l’intention et du vouloir-dire de l’émetteur) une part importante qui repose sur le pari. La même chose se produit pour l’émetteur, pensons par exemple à la personne qui, émettant un message en tout sérieux, se voit déstabilisée par une réception amusée ou hilare de son message. Il peut ainsi y avoir une disjonction importante entre l’intention de l’émetteur et l’effet pratique du message.

    Une question demeure alors entière : Ou situer la vérité de l’énoncé? Doit-on la situer dans le vouloir-dire (sémantique) ou dans l’effet (pragmatique) ?

    Personnellement j’ai tendance à suivre Gadamer sur cette question, et lier sémantique et pragmatique. Mais je n’en suis pas tout à fait satisfait encore…

    Félicitation pour Paradoxa, j’adore les articles, ils sont très pertinents!

    P.S.: Désolé pour les accents sur le u, mon clavier ne les prend pas en charge 🙁 (Notez le marqueur d’énonciation qui exprime le regret!)

  7. Effectivement, si je vous suis bien, et si l’on reformule, vous prolongez la pensée de Vincent Joly en ajoutant à la nécessité pour le smiley de combler les carences de l’écrit, celle d’introduire une certaine autorité (celle de l’auteur..) dans la mesure où ce petit signe saute les étapes de la réaction de l’interlocuteur pour manifester directement la réaction qu’il est censé avoir. L’ironie est en effet l’archétype de ces macrofigures structurellement incomplètes, qui appellent la participation de l’interlocuteur à la construction du sens. Je ne sais plus quel penseur suggère avec malice qu’il serait bon d’introduire dans la langue un signe de ponctuation signalant la présence d’ironie; il me semble que le smiley remplit un peu cette fonction.
    😉 (ça s’imposait..)

  8. Pour préciser mon propos, il s’agit de dire en fait que l’intention de l’auteur est l’horizon téléologique du sens(de la signification) et que la compréhension de cette signification idéale, complète, parfaite est asymptotique ; on ne peut jamais l’atteindre. Le contenu propositionnel (le contenu intra-linguistique) ne peut jouer qu’un rôle partiel dans cette compréhension et il est, à différents degrés, suppléé dans le langage oral par plusieurs « indices », marqueurs d’énonciation, expression du visage, non-verbal, etc. Cela se complique à l’écrit parce que la « présence » de l’émetteur est toujours différée et que les marqueurs de l’énonciation sont moins visibles ou absente. Le Web me semble être un hybride en écriture et oralité car il tend, à mon avis, à reformer un espace quasi-oral pour réussir à rendre les énoncés moins équivoques. Par expérience, j’ai toujours trouvé que sur le Web les mésententes et altercations se produisent plus fréquemment! Voilà peut-être pourquoi les smileys, l’écriture phonétique, les jargons, etc… se développent à une vitesse vertigineuse sur le Web!

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