Le test de Turing bientôt réussi? IA et inhumanité.

En Octobre dernier, le test de Turing a bien failli être réussi.

« Le test de Turing? Connais pas! » s’exclament nos lecteurs non geeks et pas très fans de technologie. Eh bien, le test de Turing, du nom du mathématicien Alan Turing, est une proposition de test d’intelligence artificielle. Décrit par ce dernier en 1950 dans sa publication « Computing machinery and intelligence », ce test consiste à mettre en confrontation verbale un humain avec un ordinateur et un autre humain, lors d’un test en aveugle. Si l’homme qui engage les conversations n’est pas capable de dire qui est l’ordinateur et qui est l’autre homme, on peut considérer que le logiciel de l’ordinateur a passé  le test avec succès (source : wikipedia).

Depuis 1990, le prix Loebner, reprenant le principe du test de Turing, promet une récompense de 100.000 dollards au premier programme capable de réussir le test. Si la machine réussi à tromper 30% de ses interlocuteurs après un tchat de 5minutes, le test sera considéré comme réussi. Cette année, le prix est revenu au programme Elbot qui a réussi à tromper trois des douze juges pour une réussite de 25 %, pas si loin du seuil du test de Turing (pour en savoir plus voir l’article de Libération à ce sujet). Le jour où l’on ne pourra plus distinguer l’humain de la machine semble donc approcher à grands pas, d’autant que d’autres candidats sont déjà dans les cartons.

Si une petite discussion (en anglais) avec le vainqueur vous intéresse, c’est ici qu’il habite. 

Elbot, un terminator qui ne paie pas de mine

Elbot, un cousin de terminator qui ne paie pas de mine.

La réussite à venir du test de Turing, tel qu’il est mis en place par le prix Loebner, ouvre sur quantité de questions. Elle met le doigt sur notre participation à un processus dont les enjeux nous dépassent tant il est difficile d’y discerner ce qui renvoie au fantasme de ce qui renvoie à l’évolution objective de la science. Pour s’en persuader, il n’est qu’à lire les commentaires à l’article de Libération qui, pour la plupart, peuvent être résumés dans la formule suivante : »bof, j’en ai rien à foutre, de toute façon mon PC a planté ce matin ». Pourtant, la question de l’intelligence artificielle, de son poids dans nos existences et du miroir qu’elle nous renvoie, risque de devenir, à moyen-termes, un enjeu de société.

Sans pouvoir aucunement faire le tour de la question, j’aimerais relever quelques points soulevés par cette nouvelle et inspirés d’un excellent article rédigé par Vincent Fleury, chercheur à l’université de Rennes (voir le lien pdf sur la page suivante).

Tout d’abord, la question de l’intelligence artificielle pose la question de note propre humanité. S’interroger sur ce qui nous sépare de la machine revient à nous interroger sur ce qui définit l’Homme.

Ensuite, il convient de remarquer que le test de Turing a été créé dans les années cinquantes et est fortement influencé par le behaviorisme. L’humain y est réduit à ses manifestations extérieures : celui qui se comporte comme un humain est un humain. De ce point de vue, un automate ne peut être défini comme tel que parce qu’il est un mauvais automate. Nul arrière-monde, nul inconscient dans cette vision de l’Homme (mais après tout pourquoi pas?).

Enfin, Vincent Fleury souligne dans son article qu’Allan Turing était homosexuel. Condamné deux ans après la publication de son article, il préféra se donner la mort plutôt qu’accepter un traitement chimique permettant de corriger sa « déviance ». Le secret, la peur de la police étaient donc au coeur de son existence. Or le test de Turing reprend la procédure de l’interrogatoire policier. Le « juge » doit découvrir la véritable identité de la machine qui a pour seul objectif de la cacher. De plus, le test inventé par le mathématicien a d’abord été un test portant sur l’identité sexuelle. L’interrogateur devait découvrir si la personne à qui il parlait était un homme ou une femme, les deux sujets s’efforçant de masquer leur véritable identité. La question que l’on peut se poser est donc celle de l’humanité du test de Turing lui-même (cf. vidéo ci-dessous). On remarque également que l’interrogation sur l’indifférenciation renvoie originellement à une interrogation sur l’indifférenciation homme-femme, et j’avoue que je ne sais pas trop quoi en penser.

 

Pour finir, le test de Voight Kampff, mythique instrument inventé par l’écrivain de science fiction Philip Kindred Dick, est peut-être pour demain. Pour ceux qui ne l’auraient pas vu, voici donc un extrait de Blade Runner dans lequel le héros administre le test VK pour tenter de démasquer un « réplicant ». Il est à noter (et j’espère pouvoir un jour écrire un article à ce sujet) que, pour PK Dick, l’opposition entre humain et réplicant ouvre une interrogation plus générale sur l’inhumanité présente en chacun de nous.

 

Autres articles sur le sujet :
.Psychanalyse des blogs. L’importance de l’écriture.
.La Noosphère. Internet a-t-il de l’esprit?.

7 réflexions sur “Le test de Turing bientôt réussi? IA et inhumanité.”

  1. Ce test de Turing est quand même fondé sur l’observation humaine et souffre d’une contradiction inhérente, c’est vraisemblablement l’homme qui par le biais de la machine, essaie de s’auto-duper. Le mécanisme reste, ainsi que le veut ce test, de tromper le juge, non réellement de créer l’intelligence ou la mimer. Il en ressort que quiconque admettra qu’un ordinateur capable de duper les juges est intelligent, admettra en même temps que l’intelligence est fondamentalement humaine, ce dont je ne suis pas certain.

    Cela me rappelle un récente expérience dans laquelle un robot-blatte bardé de marqueurs chimiques de congénères vivant, avançait au milieu d’eux sans se faire repérer. En déduisait-on que le robot mimait totalement la blatte ou était une blatte artificielle? Du tout, la blatte ayant par exemple également un système de reproduction, des gestes plus fin, etc… Il parait envisageable en ces conditions qu’on ne puisse admettre l’humain artificiel sans absolument toutes les choses qui composent l’humain. Au mieux, on aura une intelligence artificielle qui sera capable de duper des juges et duper des juges n’est pas à proprement parler signe d’intelligence, puisque le robot-blatte dupe ces congénères, par exemple, à coup de phéromone. Elle sera pas capable pour autant, par exemple, de faire mon café du matin.

  2. Oui je suis d’accord, et pour le robot-blatte capable de faire le café, il faudra sans doute encore attendre un peu :-).
    Il n’empêche, même s’il s’agit de mimer l’intelligence et non d’être intelligent, le fait de discuter sans le savoir avec un ordinateur risque de remuer plus d’une personne. Et pour avoir essayer avec Elbot, c’est déjà assez bluffant. J’ai hâte de voir ce que donneront ses successeurs..

    (ps: au fait, que devient le site Cybernétique? J’aimais bien le projet, mais il a l’air d’être un peu stand-by..)

  3. Pingback : Psychanalyse du suicide quotidien

  4. Jisee, semble occupé, quant à moi, je n’arrête pas les projets, j’en ai d’ailleurs un ptit nouveau sur lequel je m’active intensément depuis le mois dernier, sortie prévu vers février 2009, et intégration, notamment, au google psy 😉 Contacte moi via mail ou psychoweb si tu veux en savoir davantage.

    Je travaillais sinon récemment sur un article d’IA et de mathématiques, un peu profond et qui demande un peu de maturation avant d’être mis en ligne (–> incomplétude et indécidabilité). Quant à l’intelligence artificielle sur psychoweb, j’ai repris certains articles car je me rend compte avec le temps que certains, peut être beaucoup et dans plusieurs disciplines, souffrent de leur jeunesse inexpérimentée, lorsqu’ils ont été écrit, et nécessitent un repassage pour en faire des articles solides, plus que de simples notes de cours jetés un peu à la va-vite). Expérience aidant, donc, je travaille beaucoup sur le fond en ce moment, peu visible.

  5. >Cette année, le prix est revenu au programme Elbot qui a
    >réussi à tromper trois des douze juges pour une réussite de
    >25 %, pas si loin du seuil du test de Turing (pour en savoir
    >plus voir l’article de Libération à ce sujet).

    Il m’a fallu environ 15 secondes pour voir que ce robot est totalement incohérent et qu’il est incapable de répondre à la moindre question; on peut se poser de sérieuses questions sur la manière dont le test a été conduit.

    Par ailleurs la somme promise est ridicule: 100,000$, ça vaut 3 développeurs sous-payés pendant 1 an.

    Bref, nous sommes extrêmement loin, en informatique, d’une intelligence approchant celle des hommes, et ce n’est pas le prix Loebner qui nous indiquera les progrès accomplis.

    • « Il m’a fallu environ 15 secondes pour voir que ce robot est totalement incohérent et qu’il est incapable de répondre à la moindre question; on peut se poser de sérieuses questions sur la manière dont le test a été conduit. »
      Oui c’est vrai que ce robot est encore loin de donner le change à un véritable humain. Il n’empêche que comparé à pong :-), les progrès de l’intelligence artificielle sont tout de même notables. Pour le reste, si je pense également qu’il ne faut pas donner une importance trop grande à ce test, il demeure qu’il a valeur de symbole et qu’il permet de rendre compte de certaines tendances en i.a.

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