Bon, il faut que je vous dise. J’arrive pas à résoudre le problème tout seul et je suis vraiment embêté. Ce sera donc vous, oh fidèles lecteurs de paradoxa, qui apporterez la réponse!
Droit au but: en fait, mes préoccupations commencent avec la question suivante (très importante!) : dans quelles conditions peut-on produire des connaissances valables en psychologie? Ou plutôt, quels sont les critères qui nous permettent de valider des savoirs ou des connaissances en psychologie ? (j’engage ici la question de la vérité psychologique vous ne croyez pas?)
Bon, jusque là, c’est pas si compliqué que ça direz vous (et encore…). Mais la question se décline et se complexifie, en reprenant notamment les vieux débats de la psychologie comme celui de la scientificité de la discipline, de l’opposition entre objectivité/subjectivité, entre psychogénèse/sociogénèse/organogénèse…
J’avoue mon partis pris ou plutôt mon inclinaison pour une conception matérialiste (influencée notamment par la critique de l’idéalisme de la psychologie faite par Georges Politzer et récemment par la « psychiatrie sociale » de Louis Le Guillant) de toute discipline et c’est entre autres choses à cause de cette volonté de “marcher avec les deux jambes, l’une freudienne et l’autre marxiste” comme le défendait Tosquelles, que je me pose le problème de l’objecivité et de la positivité. Eh, oui n’en déplaise aux “psys”, il faudra bien discuter du positivisme et de la capacité de la psychologie à fournir des données positives, c’est à dire en relation avec des “faits”(avec quels faits, ça c’est encore une autre chose…). Bien évidemment, je suis le premier à critiquer toutes les espèces de néo-positivismes scientistes qui minent la pensée contemporaine, ce n’est pas ça qui m’intéresse et ce n’est pas ça dont on discute ici.
Toute discipline suppose, bien entendu, un rapport d’objectivité, ou plutôt une objectivation, à travers la construction d’une relation entre un objet d’étude et un sujet connaissant. Or, dans notre cas, l’objet est lui aussi sujet connaissant, agissant, souffrant…Est-ce pour autant qu’on se doit d’écarter la nécessité d’objectivité, entendue comme condition d’une validité universelle? (je pose simplement la question sans préjuger de la possibilité ou non d’une objectivité quelquonque en psychologie). Quelles sont les conditions nécessaires pour produire cette objectivité? Est-elle équivalente à une vérité? Est-elle nécessaire?
Pourquoi la psychologie se garderait-elle de discuter de ses méthodes pour produire des connaissances valides, et serait-elle à l’abri de se justifier juste parce que son objet d’étude est le sujet et la subjectivité (“mais nous c’est différent parce qu’on travaille avec la subjectivité…”. Oui, et alors?!) ? Pourquoi se différencierait-elle tellement des autres sciences de l’Homme (qui ont rencontré et rencontrent également ce problème), comme elle a tendance à le faire? N’aurait-elle pas des choses à puiser dans les disciplines voisines, tout en se forgeant son indépendance? Pourquoi la psychologie cherche-t-elle tellement à se détacher des autres sciences humaines, sauf dans de rares exceptions?
Prenons appui sur les affirmations suivantes pour continuer à réfléchir sur la question:
– “les troubles dans le vécu ne renvoyent pas qu’au vécu, le subjectif renvoie aussi à l’objectif, à une réalité que la manipulation des relations humaines ne saurait modifier profondément”, Louis Le Guillant (c’est là que s’arrête l’intervention thérapeutique et commence l’activité politique?).
– une théorie du sujet se doit de prendre en compte les déterminations sociales au risque de négliger un grand nombre de facteurs rentrant en compte dans la constitution de la personnalité, de l’action et même de la psychopathologie individuelle et collective. Se centrer sur la subjectivité de façon exclusive c’est rester purement à un niveau intrapsychique et faire l’impasse sur les impositions de la réalité. Néanmoins, il ne s’agit pas non plus d’accorder aux déterminismes sociaux une importance telle que le sujet s’en trouverait écrasé et privé de sa liberté. Il ne s’agit pas de faire une science de l’homme sans subjectivité, tentation facile et maintes fois réalisée, mais de chercher quelle est cette subjectivité humaine et comment elle entre en relation avec la réalité matérielle.
Attention, pas de confusion. Je ne défends pas ici que la psychologie est une science comme les autres, et que, du fait que son objet soit différent, elle n’a pas de spécificités. Ce que je cherche plutôt c’est justement à interroger ces spécificités et à les rendre visibles et formalisables, de façon à (re)constuire des fondations solides à une discipline qui me semble encore hésitante sur bien des points.
Je pourrais résumer (non, je ne pourrais pas, mais je le fais quand-même, parfois il faut bien se simplifier la tâche…) toutes ces interrogations en une seule :
La psychologie existe-t-elle réellement ou existe-t-elle uniquement dans nos têtes?
Belle provocation, quelle confusion! Autant de questions naïves, diront certains, de questions mal posées penseront d’autres, ou enfin de fausses questions jugeront les derniers. Soit. Jouons le jeu de la critique radicale jusqu’au bout, contre tout relativisme et contre le danger de tous les courrants de pensée « post-quelque chose » et le risque de la déshistoricisation. Je vous en serai reconnaissant.
« Au point de vue du matérialisme, c’est à dire du marxisme, les limites de l’approximation de nos connaissances à la vérité objective absolue sont historiquement relatives, mais l’existence même de cette vérité n’est pas contestable, comme il n’est pas constestable que nous en approchons. »
Lénine
Duarte.
– Autres articles propos de la notion de vérité en psychologie :
. Appel à l’aide théorico-pratique : pour les fondements d’une nouvelle psychologie
. Un exemple concret: la psychodynamique du travail
. La vérité en psychologie : hypothèses heuristiques et nombres complexes
Il me reste 5mn, donc je n’ai pas le temps de donner mon avis (mais ça va venir 🙂 ). Juste pour signaler un lien qui traite de cette question : http://arturmary.wordpress.com/2008/10/08/lascience-psychanalytique-considerations-epistemologiques/.
(les articles suivants parle également de la dimension scientifique ou pas de la psychanalyse).
Merci Vincent pour le lien, j’ai lu le texte qui est très très bien. Á lire absolument pour poursuivre cette discussion!!
Si je puis me permettre, il est une constatation simple : quelques ou beaucoup de psy tente de définir l’objectivité, la meilleure méthodologie, le caractère scientifique, etc… de cette psychologie, sans en être réellement sorti. plus précisément, d’aucuns tentent de trouver d’emblée cette psychologie relativement objective/scientifique, deux notions paraissant contradictoires de prime abord, et dont l’association n’en finit pas de poser des difficultés.
Pourquoi ne pas essayer de manoeuvrer méthodologie et critique sur des disciplines qui s’y prêtent formidablement bien, à savoir les sciences dures. Deux années de fac de science m’ont convaincu de deux choses : que la science se ferme sur elle même comme la psychologie (ouch) mais également que les deux ont beaucoup s’offrir., je suggère donc, dans la quête d’une psychologie efficace et pertinente, de s’entrainer avec d’autres sciences quelques temps, ça apporte énormément, ça fait sortir un peu la tête de la psycho (je m’étonne vraiment d’entendre parler d’objectivité, de sciences, de recherche, d’applications, des personnes qui n’ont jamais mis les pieds hors de fac ou hors de la psycho.
Un bon psy, un bon chercheur en psychologie, ce pourrait être quelqu’un dont l’érudition s’étend au dela de la psychologie. Pour répondre à certaines questions de psycho, il faut peut être sans extraire et observer le système sans n’y être qu’inclus.
@Carnegie : Oui c’est vrai. En même temps, même au sein de la psychologie, les questions d’objectivités se posent et sont enseignées (par exemple en psycho xp). Après c’est vrai qu’avoir un point de comparaison extérieur est sans doute utile mais ce n’est pas une nécessité (enfin je crois 🙂 ).
@ Duarte: Ce n’est qu’une piste mais j’aime beaucoup la notion de bricolage (le mot est de Lévi-Strauss). Il en parle pour l’ethnologie : il s’agit d’emprunter des concepts à divers autres sciences, un peu comme on utiliserait des outils, sans chercher pour autant à atteindre la « perfection » systématique des sciences de la nature. En gros, il s’agit d’accepter d’être dans une position inconfortable (oui je sais, ma réponse ne répond pas pleinement à la question mais j’avais envie de le dire.. ).
Je crois au contraire qu’il y’a nécessité à moins de vouloir réinventer des solutions déjà trouvées dans d’autres disciplines. La question de l’objectivité a déjà reçu des réponses en physique au niveau élémentaire, dans les années 30, donnant une excellente raison d’user des statistiques.
Quoiqu’il en soit, les exemples de théories psychologiques démontées par de nouveaux apports provenant d’autres sciences, suffisent à témoigner de cette nécessité. Les exemples sont nombreux, de l’autisme de Bettelheim à la phrénologie de Gall, si la psychologie se suffisait à elle même, de tels exemples n’existeraient tout simplement pas, et nous serions capable de produire des connaissances peut être grossières, mais toujours dans une direction sensée. Ce qui est loin d’être le cas.
Se contenter de la psycho, c’est construire de belles maisons dans les arbres jusqu’à ce qu’un bûcheron physicien ou biologiste (ou autre), s’attaque au tronc à la hache. Certaines fois, les fondations rejoignent le sol et s’implantent, d’autres fois, les sciences « dures » coupent court à toute discussion et tranchent dans le vif. Bref, mieux vaut connaitre le bûcheron avant de savoir ou construire sa maison 🙂
Je suis d’accord avec Carnegie pour aller regarder ailleurs, notamment vers les sciences dures. Mais il me semble qu’aujourd’hui une grande partie des psychologues (surtout les cliniciens) ont développé une certaine allergie envers les tendances dites « scientifiques » de la psychologie. Il faut dire que certaines de ces approches « scientistes » ont échoué dans leur explication de la compléxité de la psyché humaine et que leur explications relèvent parfois plus du réductionnisme que d’autre chose.
Et dans ce domaine il faut également faire attention avec les enjeux de pouvoir et d’emprise, car n’oublions pas que le champ théorique est un champ de lutte ou chacun essaye de légitimer une vision du monde.
coucou! j’arrive un peu tard dans le débat.
1°) Il est un point sur lequel la psychologie ne peut pas faire l’impasse: c’est la rigueur. Rigueur dans la construction de ses concepts, soit. Mais aussi rigueur-honnêteté qui permette au chercheur de ne pas être aveugle à ce qui vient réfuter ses bricolages (le mot me plaît bien aussi!).
2°) Il faut reconnaître que le chercheur est aliéné aux conditions de son temps… au « discours » (Lacan), au « dispositif » (Foucault). Voyez Freud dont les théories évoluent avec les modèles dominants de son temps (modèle économique, modèle thermo-dynamique…). Notre prétendue objectivité ne trahit-elle pas quelque chose de l’Autre ? (plus pragmatiquement : qui finance la recherche ? et donc, est-elle si objective que ça…). Je crois qu’il est vain d’essayer de s’en extraire totalement… juste assez toutefois pour ne pas en être totalement dupe 🙂
3°) J’ai mijoté deux ans dans une fac scientifique avant de commencer la psycho… et je retourne le compliment 🙂 il faudrait peut être que les scientifiques aillent un peu voir ailleurs et se donner les moyens d’une pensée moins stéréotypée (expérimentation, calcul, stat, démonstration…). Que je sache, la science à ses débuts n’est pas bien différente de la philosophie ! Aller lire les cousins philosophes ne feraient pas de mal à certains. Bon, tout travail interdisciplinaire a son intérêt. non ?
j’espère que le débat reprendra 🙂
(@Vincent: merci pour la citation de mon texte, qui aura agi comme citation à comparaître)
Alors voila un commentaire qui soulève des points importants pour le débat (merci Arthur Gomboc!):
– Effectivement, le champ de la science et de la théorisation est un champ de luttes soumis à des intérêts divers qui influencent (et beaucoup) ses orientations. Mais quand je parle d’objectivité ce n’est pas pour défendre l’existence d’une science pure qui se prétend entièrement vraie et sans influences externes (ce qui me paraît être une illusion mégalomaniaque). J’e parle d’objectivité plutôt dans le sens de la rigueur, justement, dans la construction des concepts et des méthodes et dans l’effort de systématisation.
– Et aussi, je suis entièrement d’accord, beaucoup de prétendus « scientistes » devraient également mettre leurs disciplines à l’épreuve de la philosophie et des sciences humaines. ça leur aprendrait peu-être à penser de forme critique leurs disciplines.
Pour faire rebondir le débat, voilà ce que dit Widlöcher sur cette question:
» La psychanalyse est une pratique exploratoire qui, à l’instar de toutes les grandes pratiques, ouvre à la connaissance. [..] Une des erreurs du débat sur la valeur herméneutique de la psychanalyse est que les défenseurs de cette position ont confondu herméneutique individuelle avec science herméneutique. […] La psychanalyse n’est pas une science appelée à s’intégrer dans les sciences biologiques, pas plus qu’elle n’est une discipline herméneutique ». (cf Cent ans après, Patrick Froté, p.294).
Ensuite, Widlocher fait un parallèle avec les conquistadors : ils ont découvert une terre nouvelle et cette découverte a donné lieu à un progrès des connaissances (en cartographie, en géographie etc.). C’est pareil pour la psychanalyse : elle a « découvert » un continent refoulé et cela peut permettre à la science de progresser. Mais, en soi, ce n’est pas une science (pas plus que C.Colomb n’était un scientifique).
Donc pour lui, il y a une confusion, d’une part, entre ce qu’on peut dire des contenus du discours psychanalytique (il y a un oedipe, un stade anal etc. ) et la pratique analytique, d’autre part, entre une recherche du sens chez un individu et un savoir d’ordre général.
J’avoue que j’aime bien cette vision des choses. 🙂
D’accord, il y a bien deux niveaux différents, le théorique et la pratique. Mais sont-ils si dissociés que ça ? Certes, ils s’enrichissent mutuellement, à tel point qu’ils dépendent l’un de l’autre (pas de théorie sans une clinique ; une clinique sans théorie serait aveugle, et produirait une théorie pour s’éclairer). Je me risque à demander si ces deux champs ne sont pas plus intimes encore.
A qui s’adresse une théorie, et quel sujet l’émet ?
Toute rencontre du sujet avec l’Autre ne vient-elle pas s’inscrire dans un rapport du premier au savoir (et à ce qui théorise ce sujet) ?
La psychanalyse a bien science d’un savoir qui lui échappe (ou plutôt qu’un savoir lui échappe). Je pense qu’on le lui accordera volontiers. De là à « faire science », que faut-il ? Il faut se donner les moyens pour creuser le chemin vers ce qu’on entend faire émerger de savoir, vers ce que l’on vise à organiser théoriquement. En somme, une méthode (methodos, une voie) au service d’une heuristique (afin de provoquer l' »Eurêka »…).
J’ajoute que les psychanalystes – sans doute du fait de la complexité de leur « objet » d’étude – ont dû apprendre à prendre distance de leurs propres théories, à les remettre sans cesse au plancher. Voire enfin à ne pas en être totalement dupes. La théorie aurait structure de fiction (M. Mannoni) !
Bonjour,
J’ai lu « j’espère qu’on reprendra le débat » Nous voilà en 2011 et me voilà bien heureuse decouvrir ce débat. J’ai soulevé par exemple ceci, où l’auteur dit que c’est une question « naïve » : – La psychologie existe-t-elle réellement ou existe-t-elle uniquement dans nos têtes?
La question n’est pas naïve du tout. (Le nouvel inconscient » Lionel Naccache.
Personnellement je trouve passionnant la neuropsychologie. Par contre je sais que d’autres auront préférés la « neuropsychanalyse » et d’autres encore qui préfèrent les chemins de la polémique. Dans le cadre de ce débat je propose écoute : – Les êtr Les fondements naturels de la sympathie
DECETY Jean
http://www.canal-u.tv/themes/sciences_humaines_sociales_de_l_education_et_de_l_information/sciences_de_l_homme/psychologie/les_fondements_naturels_de_la_sympathie
Ainsi que : –
Représentation de soi, représentation de l’autre
• PR. JEANNEROD Marc
Colloque La représentation du vivant : du cerveau au comportement
Session La représentation du cerveau par les neurosciences
Marc Jeannerot s’intéresse ici aux représentations graphiques du cerveau et des fonctions cognitives à travers les siècles et aux liens supposés entre certaines aires du cerveau et certaines fonctions (théorie des localisations). Il évoque ensuite la notion de « cerveau social », c’est-à-dire l’ensemble des dispositifs qui permettent d’entrer en communication les uns avec les autres, et montre qu’il existe une sensibilité particulière du cerveau pour les stimuli biologiques (voix, visage, etc.), par opposition aux stimuli mécaniques. Il présente ensuite des expériences utilisées par des psychologues de la cognition pour les pathologies, comme la schizophrénie, impliquant des troubles de l’identité et de la représentation de soi.
http://www.canal-u.tv/producteurs/ecole_normale_superieure_de_lyon/dossier_programmes/colloque_la_representation_du_vivant_du_cerveau_au_comportement/representation_de_soi_representation_de_l_autre
A lire aussi : Marc Jeannerod « La Fabrique des Idées », ed.Odile Jacob, sciences, mars 2011)
Cordialement
Marianne Antonis
Freud, qui etait un medecin, n’a-t-il pas travaille avec la plus grande rigueur scientifique lorsqu’il a theorise ce qu’il a appele l' »appareil psychique »? N’etais-ce pas un grand pas pour l’objectivisation de la psyche humaine?Notre connaissance de la psychologie n’a-t-elle pas enormement evoluee depuis? Freud et ses predecesseurs ont fait comme tous les scientifiques (chirurgiens, generalistes, astrophysitien,etc.) a mon avis : se passionner, chercher, hypothetiser, remettre en question ses modeles a partir des faits, participer au developpement de sa discipline, etc.