Mon analyse avec le Professeur Freud, Anna G. -Par Jean Luc Vannier

 Couverture de Mon analyse avec Freud

 Mon analyse avec le Professeur Freud, Anna G., Ouvrage édité sous la direction d’Anna Koellreuter, Aubier Psychanalyse, 2010.

 

Fouillant par hasard dans son grenier, une psychanalyste découvre des lettres de sa grand-mère, psychiatre au célèbre Burghölzli, lesquelles évoquent son analyse avec Sigmund Freud. Docteur en philosophie et analyste à Zürich, Anna Koellreuter a préféré s’en remettre à des confrères européens en leur confiant la correspondance avec sa famille de son ancêtre. En 1921, celle-ci décide de s’installer à Vienne : elle s’allongera quelques mois sur le divan du fondateur de la psychanalyse. Précédé d’une courte introduction de l’auteur, puis d’une traduction du texte original, édité par Ernst Falzeder, l’ouvrage rassemble neuf contributions.  

Composé de deux cahiers d’écolier qui témoignent des différents aspects de la pratique freudienne, ce journal ne contient aucune révélation exceptionnelle. Leur seul et véritable mérite consiste à confirmer ce que l’on savait déjà mais que certains des commentateurs feignent étonnamment de découvrir : Freud est, pour son époque, un homme largement dénué de préjugés et qui n’a de cesse d’adapter ses constructions théoriques aux découvertes quotidiennement suggérées par sa clinique. Lors d’une cure courte mais intensive, soit tous les jours de la semaine pendant plusieurs mois, il intervient volontiers en séance : un moyen de rappeler aux analystes contemporains que l’interprétation verbalisée constitue l’essence même de l’acte analytique. Sans oublier le transfert ! Comment comprendre sinon cette note de la patiente : « la présence de Freud dans la même pièce était plus importante que ce qu’il pouvait lui dire ».  

Si surprise il y a, elle émane surtout des exégèses réalisées sur ces courriers. Malgré l’annonce, réitérée en tête de chapitre par chacun des cliniciens, d’une nécessaire prudence sur le traitement à réserver à ces « impressions », leurs réflexions ne s’embarrassent guère de précautions pour « évaluer » le travail de Freud. Difficile, par exemple, de ne pas interroger les déconcertantes vérités d’évidence d’André Haynal sur le fait que « Freud poursuivit son auto-analyse à l’aide du matériel psychique que lui apportaient ses patients ». Aucun praticien digne de ce nom ne pourrait en effet contester cette idée. L’auteur récidive un peu plus loin : son « travail interprétatif était fortement déterminé par ses conceptions ». Une observation inutile sauf à rejeter la psychanalyse en dehors des sciences de l’homme. On rangera dans la même veine l’approche plutôt dogmatique d’Ulrike May sur les « éléments non analytiques dans la pratique de Freud » : le fait d’afficher ses préférences artistiques ou ses goûts littéraires comporte chez elle le risque de gratification narcissique. Une critique qui révèle plutôt la difficulté contre-transférentielle de l’analyste à se laisser appréhender par son patient. Au fil des pages, le lecteur rencontrera ainsi d’autres incongruités du même acabit. Ernst Falzeder peut ainsi affirmer sans rire : « Freud n’a jamais écrit une étude récapitulative consacrée à la technique analytique ». Et ce spécialiste de l’histoire freudienne de regretter l’absence de « règles qui n’étaient que des conseils ». Et de conclure : « on dirait presque que ces écarts étaient chez lui la norme et non pas l’exception ». N’en déplaise à la pruderie analytique helvète, et sans oser revendiquer un jusqu’au-boutisme « lacano-saussurien » sur l’arbitraire du signe, le cœur en fusion de la psychanalyse ne se situe-t-il pas justement dans cet « écart » fondamental ?

« La thématique sexuelle est présente dans des proportions auxquelles nous ne sommes pas généralement habitués aujourd’hui de la part de nos analysants » s’étonne également Pierre Passett, au risque probablement d’avoir confondu psychanalyse et pâtisserie ! Et ce, malgré les excellents développements du même auteur -une des meilleures élaborations avec celle, historique, de Karl Fallend- sur « l’intérêt émotionnel que se portent les deux partenaires dans le dialogue analytique » ou « la relation de curiosité » que le praticien se doit « d’entretenir avec son propre savoir ».

Reste le texte intéressant mais parfois non dénué de confusion de Thomas Aichhorn. A moins qu’il ne s’agisse d’un effet de la traduction, son passage sur le « renoncement pulsionnel » manque de clarté. Il tend à justifier l’abstinence sexuelle recommandée par Freud à sa patiente par le fait que ce dernier avait « discerné une incompatibilité entre la sexualité et le développement humain vers l’état de civilisation ». Au risque de présenter Freud comme un farouche adversaire de la sexualité en général. L’auteur étaye certes sa démonstration sur la théorie de la séduction généralisée du professeur Laplanche qui décrypte la part énigmatique de la sexualité infantile, incompatible avec le difficile équilibre recherché par l’adulte. Mais cette « incompatibilité entre sexualité et développement humain » auquel Thomas Aichhorn fait référence, aurait trouvé meilleur éclairage dans la mise en évidence, par le texte de Freud « Psychologie de la vie amoureuse » de 1912,  que « quelque chose dans la nature même de la pulsion sexuelle n’est pas favorable à la réalisation de la jouissance ». /.

Nice, le 10 avril 2010

Jean-Luc Vannier

 

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