Je voudrais rapidement commenter l’entretien avec Roland Gori, psychiatre et psychanalyste, paru dans Le Monde du 3 mai 2008.
Ce psychiatre nous livre dans cet entretien les chemins que prend la psychiatrie contemporaine, une psychiatrie qui, à couvert de scientificité, se médicalise et adopte une approche de plus en plus normative. On assiste d’ailleurs à un glissement dans les termes, le terme de « santé mentale » venant remplacer celui de « psychiatrie ».
Nous voila entrés dans le règne des « dysfonctions » et « inadaptations », l’individu n’étant plus évalué du point de vue de sa souffrance mais de sa capacité à se conduire de façon adaptée.
Il en découle une approche médicalisée (qui va de pair avec des intérêts de l’industrie pharmaceutique) – et qui s’appuye également sur les apports des thérapies cognitivo-comportementales – qui vise à adapter l’individu à la société et se présente, pour Roland Gori, comme un nouveau dispositif de surveillance des comportements et peut constituer, à terme, une nouvelle forme de stygmatisation des populations marginales et défavorisées. Et cela en dépit d’une notion du soin héritée de la psychanalyse et centrée sur les notions de conflit, de vie psychique, de culpabilité, etc.
« La « nouvelle » psychiatrie se moque éperdument de ce qu’est le sujet et de ce qu’il éprouve. Seul importe de savoir s’il est suffisamment capable de s’autogouverner, et d’intérioriser les normes sécuritaires qu’on exige de lui. »
Duarte Rolo.
Bon, pour lancer un peu le débat, je vais me faire l’avocat du diable..
L’évolution de la psychiatrie vers une normalisation des patients est souvent vue comme une dérive des médecins or je ne suis pas sûr que ce soit eux les responsables. En effet, cette « dérive » me semble plutôt liée à une évolution de la demande des patients.
Je discute souvent avec des amis qui ne connaissent rien à la psychologie, et ils sont très réticents quand j’essaie d’évoquer la cure analytique, par contre si je leur parle dans des termes plus comportementaux ils sont plus réceptifs. Les tcc pour un phobique ça leur paraît évident, la psychanalyse pour un névrosé, ils restent toujours sceptiques..
A mon avis leur réaction est lié d’une part à la complexité des concepts psychanalytiques, d’autre part, au fait que s’ils allaient voir un psy, ils ne voudraient pas avoir à fouiller les tréfonds de leur « âme ».
C’est la même chose avec les patients. Si on prend le cas des boulimiques, par exemple, ils n’ont pas envie (consciemment) qu’on les aide à vivre pleinement leur individualité. Ils n’ont qu’une envie c’est qu’on leur retire cette part de folie qu’ils ont en eux, qu’on les aide à redevenir « normaux », à ne plus s’écarter de la norme.
Je crois qu’il faut, malgré tout, accepter de prendre au sérieux cette demande. La psychanalyse doit peut-être rester une pratique minoritaire…
Il y à bien sûr du vrai dans ce que tu dis Vincent, mais je pense que pour discuter de ce sujet il faut aller un peu plus loin.
Et je ne parle pas de poser la question de la demande ou des demandes (un des enseignements de la psychanalyse est de démonter l’existence d’une demande manifeste et d’une demande latente), de la place de la psychanalyse dans le dispositif psychiatrique ou de son efficacité comme traitement.
Non, ce glissement de la psychiatrie met en jeu autre chose à mon avis: une différente conception philosophique du sujet malade et de la maladie mentale.
Et je pense que c’est là qu’il faut s’engager en tant que professionnels de la « santé mentale » (utilisons le terme, même s’il ne veut pas dire grand chose) pour une vision du sujet qui ne se limite pas à l’appréhension de comportements déviants (par rapport à une norme sociale) mais qui s’intéresse à la souffrance et au drame humain. Pour une vision de la maladie mentale qui ne soit pas calquée sur la maladie somatique, qui engage un autre modèle de compréhension de l’humain et dans cette volonté là on ne peut exclure les leçons de la psychanalyse.
Duarte Rolo.
Bonjour,
Il me semble que ce l’abord de ce sujet n’implique que trop partiellement la dimension sociale dont pourtant il se réclame.
En effet, nous le savons, une société vivante est constitué d’une sommes « d’appareils » visant non seulement à son développement et à son évolution, mais aussi à sa survie. Dans cette dernière catégorie se trouvent une bonne partie des normes, que ladite société demande à ses membres d’intégrer : non seulement pour sa survie à elle, mais aussi pour leur survie à eux. Il ne s’agit pas alors d’un combat à proprement parler entre les forces évolutives et de conservation, mais plutôt d’un équilibre général à trouver pour la société – et ce bien entendu même si, en particulier, certains membres peuvent être pour des raisons qui leur appartiennent porteurs (étendards) d’un pan plutôt que d’un autre et se livrer bataille. Quoi qu’il en soit, une société ne s’organise au fond certainement pas dans le but d’anéantir ni même d’abrutir ses membres, soit de s’autodétruire ou s’affaiblir, qu’on se le dise et qu’on le prenne pour acquis.
Dès lors, s’attaquer à la psychiatrie quand on est psychiatre (ou s’attaquer « entre soi », psychanalyse vs. comportmentalisme) pour parler d’un phénomène de société général dans lequel on est intégré me semble non seulement réducteur, mais également potentiellement dangereux, déjà dans le sens où l’on déplace alors ce qui est un cadre général sur un cadre très particulier, qui plus est stygmatisé dans le grand public, ne permettant pas ensuite l’élargissement du concept à ce qui doit l’être (on connait la stratégie de l’arbre qui cachera la forêt, fréquente en politique).
Nous le savons, l’évolution des concepts (scientifiques ou autres) dépend grandement des nécessités sociales, ne serait-ce que sur critères de diffusion. Ne pas prendre conscience que nous sommes porteurs d’un phénomène large, sociétal et maintenir ainsi l’homéostasie sur un (notre) champ local ALORS QUE NOUS SOMMES QUASIMENT LES SEULS A MEME DE LE METTRE EN LUMIERE SOCIALEMENT (et d’ailleurs que la société nous paye pour ça !) c’est non seulement ne pas remplir notre rôle social, général, mais également, de façon pernicieuse, contribuer à véhiculer l’idée que la société est mauvaise par essence ALORS QU’ELLE NOUS EMPLOIE JUSTEMENT DANS SA VITALITE !
Les forces mauvaises ne sont pas celles de la psychiatrie, mais l’absence de la psychiatrie, sa paresse, son narcissisme à intégrer le champs social, à lui parler : la psychiatrie, au lieu de se parler à elle-même, ou demander au social de la regarder souffrir, doit parler DU social – bref, lui offrir le regard sur elle-même qu’elle attend, qu’elle demande, qu’elle invoque en nous plaçant dans ces emplois. C’est là, et là seulement, qu’elle la reconnaitra remplir son rôle et lui renverra l’ascenseur (car il s’agit bien d’aboutir à un progrès).
Soit, encore une fois : tant que nous ne parlerons pas du social depuis l’expérience psychiatrique où la société nous place, nous ne répondrons pas à la nécessité sociale pour laquelle nous sommes engagés par la société. Ou encore : rien ne sert de parler de la psychiatrie quand le problème est social, plutôt offrir une solution psychiatrique au social qui souffre !
Il s’agit donc d’un engagement à créer, dont le terrain est, bien évidemment, politique. C’est sans doute là que la bât blesse, car ça fout les jetons à tout le monde, on préfère pousser des cris d’effraie et faire mine de nous battre entre nous dans nos précarrés : on le sait bien, c’est pas là que ça risque de faire bien mal au fond, mais on a bonne conscience à peu de frais …
En allant un peu plus loin dans l’idée :
la société pousse à la diffusion du comportementalisme face à la psychanalyse pour faire réagir et remplir son rôle à la psychiatrie : non pas celui face aux patients, mais pour la société, ce regard et ces solutions qu’elle attend sur elle-même. Là où la psychanalyse pêche, ce n’est pas d’un manque de rigueur scientifique, mais non seulement d’une évolution naturelle du paternalisme dans ce contexte (donc la chute du sujet supposé savoir) mais également de la stase idéologique de cette discipline empêchant les actes. La psychiatrie ne peut, comme l’enfant médicament de ses parents, se contenter à terme d’offrir une surface d’inscription : elle est prise dans les rêts sociétaux et a ses limites. Il faut donc une discipline qui permette, qui AUTORISE dans ses concepts d’offir des solutions, de ne pas « faire » que porter l’écoute d’un discours en attendant le positionnement du patient, sous peine d’un écrasement car, dans notre cas, nous ne contrôlons pas le cadre : il est sociétal.
C’est d’ailleurs sans doute la grande différence entre le comportementalisme et la psychanalyse, cette question de l’appropriation du cadre : ce n’est pas un hasard.