Vieillir…Des psychanalystes parlent. – Par Jean-Luc Vannier

Vieillir…Des psychanalystes parlent.
Editions Eres, 2009

 Couverture de Viellir .. des psychanalystes parlent

Voici un ouvrage dont la lecture devrait être recommandée, sinon rendue obligatoire, à tous les psychanalystes en formation. Ces derniers y puiseraient certainement d’abondantes et d’utiles réflexions sur la vanité du pouvoir, celui pour lequel ils finissent parfois par s’étriper au sein des institutions psychanalytiques. Ils en profiteraient également pour se débarrasser de toute prétention personnelle, illusoirement construite sur leur place de « Sujet Supposé Savoir ».

Dans ce passionnant recueil paru aux Editions Eres, des analystes de renom y parlent en effet à la « première personne », de leur vieillesse, de la perspective de la mort et des changements -ou résistances à ceux-ci- qu’elle implique pour leur pratique clinique. Des témoignages livrés sans fard, mais jamais dénués d’humour et d’une pudeur enrichie par une esthétique particulièrement émouvante du langage. Et où le sentiment de résignation s’accoquine progressivement avec le « deuil de soi », expression la plus communément partagée : elle ponctue comme l’horloge de la chanson de Jacques Brel sur le même sujet, un discours qui n’est assurément plus du semblant.

Ces ultimes séances font ainsi retour sur les premières, « fondamentales » rappelle plus convaincante que jamais Annie Anzieu dont la « sagesse » a dépassé sa « crainte d’être blasée ». Moins un obstacle qu’un atout, maintenant qu’il aide « à comprendre enfin ce qu’on fait » explique ironiquement Raymond Cahn, ce « désir de l’analyste qui dure » malgré le poids des ans enfreint paradoxalement les lois supposées du conservatisme : il autorise une certaine audace, des « innovations » et un « affinement » cliniques pour Raymond Cahn, voire une « activité créatrice » pour Denise Diatkine. L’horizon de la mort n’est pas sans rappeler une forme de castration, mais une « mutilation qui se veut à la fois perte et passage » pour Michèle Montrelay. « Grandir jusqu’à la mort » espère quant à elle Michelle Moreau Ricaud alors que pour Conrad Stein, la situation analytique reste l’un de ses « lieux de vie ». Parades verbales échappatoires ou signes apaisés d’allégeance, ces formules sur la finitude n’en traduisent pas moins l’expression d’une fréquentation régulière de l’irreprésentable : les analystes rejoignent la cohorte de ceux, philosophes, prêtres ou Francs Maçons, dont le parcours d’une vie titille la notion par la pensée ou le symbole. C’est selon.

A l’heure de vérité, la plupart de ces praticiens (Annie Anzieu, Roger Dadoun, Conrad Stein) écartent -enfin- le tabou sur l’âge des analysants et des analystes. Ils s’étonnent parallèlement du silence imposé sur ces thèmes dans les sociétés de psychanalyse. Certains racontent des expériences cliniques heureuses avec des patients largement à la retraite : malgré « l’au-delà du principe de plaisir », leurs récits consacrent ainsi l’engagement invariable de la psychanalyse du côté de la vie.

Notons la manifestation de certaines résistances, plutôt en provenance des hommes : difficile à cet égard de ne pas relever le curieux entretien avec Bernard Brusset qui livre une série d’impressions complètement impersonnelles où il n’est jamais question de « je » ou du « moi » : c’est sans doute l’autre en lui qui vieillit ! Contrairement à Judith Dupont qui n’hésite pas à s’interroger sur son âge avant de prendre un nouvel analysant, à Anny Cordié qui raconte avec humour l’acte notarial de « transmission » de ses actions à sa petite fille ou la lettre désopilante de Denise Diatkine à son coiffeur dont la « couleur » lui a donné dix ans de plus et lui fait désormais profiter des places assises dans l’autobus, les analystes mâles préfèrent, à l’image de Claude Dumézil, perlaborer savamment sur la question : « qu’est-ce que vous appelez l’âge ? ». Daniel Widlöcher trouve d’ailleurs le sujet « indiscret ».

Et puisque la psychanalyse doit demeurer une expérience énigmatique, mentionnons l’étrange témoignage, accouché « sous X » si l’on ose dire, d’un « analyste de renom » pour lequel « la personne réelle du psychanalyste ne doit pas apparaître » : cet anonyme fustige les dérives, notamment médiatiques, de ses confrères ainsi que leurs nombreuses publications. Ses réflexions sur la puissance du transfert résolvent finalement toute problématique de l’âge. Elles sont susceptibles d’être résumées dans une conclusion aussi provocante que lapidaire : qu’importe le réglage du sonotone, ce n’est pas, en psychanalyse, cette oreille là qui compte./.

Nice, le 13 mars 2010
Jean-Luc Vannier

2 réflexions sur “Vieillir…Des psychanalystes parlent. – Par Jean-Luc Vannier”

  1. Parler de ma douleur a mis mon angoisse de jolie femme qui devait nécessaire­ment vieillir au dernier rang sur mon registre de vie .

    Quand j ‘ ai mis «  jeux d amphores » mon livre sur son orbite,
    je savais que j ‘avais épuisé ma vieillesse en une nuit ,. cause de la douleur qui suintait dans mon corps , j ‘avais franchi un seuil , exprimé dans des mots violents.
    J‘ ai tout de suite détesté le mot «  thérapie » que l ‘ on a laissé traîner autour de moi .
    En quittant la rue de Seine , j ai su qu’ une autre personne se baladait en moi . .
    Je faisais partie de cette parcelle de l ‘ humanité qui pouvait prétendre raconter des his­toires en errant ailleurs que dans ma douleur , dans une tonalité souple dépouillée de cette agressivité qui m ‘a tenu lieu de patrie.

    Les résidence oû sont mes pensées les plus chères sont devenues mon domaine inac­cessible , réservé , verrouillé . .
    ;Même si toute les mères comprennent , même si nous nous savons sœurs avec celles qui ont partagé la même épreuve ,pour chacune de nous accoudée au bastingage , la mer avait une couleur propre .
    Dans un corps usé ,resplendissant comme un joyau sans nom qui m ‘avait permis les mots, l ‘écriture, je survivais .
    Il a fallu dix années pour exhiber ce corps nu prêt comme un palimpseste .
    Celui qui m ‘ a tant soutenu dans mon entreprise me regarde peut être comme
    l ‘enfant soldat dans son uniforme de gloire ,qui court au devant d ‘ un danger que sa jeunesse nomme enthousiasme.
    Il court sans essoufflement.
    «  cela s’appelle l ‘ aurore » disait Emmanuel Robles .
    Aujourd ‘ hui, à 78 ans , je donnerais, sans complexe, des leçons à tous les savants analystes, thérapeutes du monde .

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