Les patients-limites et la psychanalyse intégrative, Jean-Michel Fourcade. Par J-L Vannier

Il n’y a pas si longtemps, cette notion faisait encore débat. Sinon polémique. Malgré quelques résistances ici ou là, elle est aujourd’hui généralement bien acceptée par les psychanalystes. Entre névrose et psychose, les deux nosographies traditionnelles, un entredeux existe donc. Un espace vacant plutôt qu’une troisième structure indéfinissable. Un no man’s land psychique aux contours fluctuants de symptômes, coincé entre la « limite supérieure de la névrose et la limite inférieure de la psychose ». Une « maladie de passage » de l’une à l’autre, selon Jean-Michel Fourcade qui signe aux Editions Eres, une version augmentée et actualisée de son ouvrage de 1997 sur « les patients-limites, psychanalyse intégrative et psychothérapie ». Certes, l’introduction à ce travail a de quoi plonger l’analyste, disons classique, dans un abîme -passionnant- de perplexité en raison des deux affirmations préalables de l’auteur: celui-ci reconnaît « un itinéraire intellectuel allant de la diversité à l’intégration » qui le conduit à ranger pèle-mêle dans la psychanalyse des approches aussi disparates que celles des pôles progressif et régressif ou celle de l’inconscient collectif de C.G. Jung tout en y admettant par surcroît la validité du courant « rogérien » américain et de son « approche thérapeutique centrée sur la personne » (Carl R. Rogers, Editions Randin, 2001). Son affirmation ensuite, selon laquelle « la théorie de la régression représente aujourd’hui ce que la clinique a de plus sûr » frise une omission: celle de mentionner les possibilités d’enlisement de l’analyse et les contre-indications de ce moment particulier du divan, notamment pour les psychotiques. On y voit évidemment plus clair au fil des pages, à mesure que s’établit la nette distinction entre régression topique et régression dynamique. On inclura aussi dans ce questionnement préalable la prise en compte, apparemment nouvelle pour l’auteur, de la dimension sociale qui « augmente » -le mot n’est-il pas discutable d’un point de vue psychique?- les pathologies extrêmes de l’adolescence et de l’adulte. Entre névrose et psychose, souligne-t-il, Freud évoque en 1924 une troisième possibilité pour le moi : « se déformer pour ne pas avoir à se déchirer ». La clinique des état-limites, admet finalement le co-fondateur du Centre de Développement Humain, s’exerce au double risque du respect du cadre et du maniement des mécanismes transférentiels.

On sera néanmoins très reconnaissant au psychologue expérimenté de nous présenter un tableau des plus exhaustifs de ces « borderline » au travers d’une série de développements théoriques, principalement fondés sur l’oeuvre de J. Bergeret, aidés en cela par de nombreuses vignettes cliniques. Au-delà des avantages didactiques d’un tel ouvrage -on appréciera la précision des récapitulatifs étiologiques, le rappel des évolutions dans les traitements analytiques ainsi que l’honnêteté intellectuelle de citer tous ses emprunts conceptuels-, l’un de ses intérêts manifestes réside dans la multiplicité des indications descriptives des troubles-limites: typiques des « acting out », elles rappellent les pathologies exacerbées du lien telles qu’elles peuvent exister dans la clinique de l’adoption et dans celle des maux de l’adolescence : « une dépendance à l’autre vécue de manière honteuse, comme une faiblesse et donc source d’agressivité », des « débordements pulsionnels » sous forme de mises en acte violentes et désespérées dès qu’intervient un événement extérieur et inattendu mettant en jeu l’éloignement de la personne aimée et signant une incapacité absolue à être seul.

Enrichie, pour la présente édition, de deux chapitres sur « les facteurs sociaux de l’étiologie des patients-limites » et sur les « apports nouveaux », la conclusion témoigne respectivement des interactions multiples de l’environnement sur les pathologies de « l’individu hypermoderne » et des développements sur les prises en charge par de nouvelles approches thérapeutiques. Deux ultimes limites pour la psychanalyse elle-même?

Nice, le 1er septembre 2010

Jean-Luc Vannier

Une réponse à “Les patients-limites et la psychanalyse intégrative, Jean-Michel Fourcade. Par J-L Vannier”

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*