Voici deux ouvrages sur la psychose: « Expériences de la folie » sous la direction de Patrick Chemla et « Au plus près de l’expérience psychotique » sous la direction de Lina Balestriere. Publiés aux Editions Eres, traitant parallèlement du même sujet, de la folie comme de ses multiples approches thérapeutiques, tous deux d’un indiscutable intérêt théorique et clinique, rien ne semble a priori les distinguer. C’est pourtant l’approche culturelle qui les sépare.
Eminemment engagé dans le débat politique et social sur l’avenir incertain des prises en charge de la folie, le psychiatre et psychanalyste Patrick Chemla donne le ton d’un ouvrage centré sur la critique du « fantasme délirant de l’hygiénisme » à même de « produire l’espoir insensé d’en finir avec la folie, la maladie et, pourquoi pas, la mort ». Alors que dans son texte « Peut-on réduire l’analyse à son ultime? », son collègue Olivier Grignon rappelle qu’à partir de 1964, Jacques Lacan témoigne du fait que « la norme ce n’est plus la névrose, c’est la psychose », comment prétendre aborder et comprendre cet état humain, se demande le Président de la CRIEE à Reims, en « supprimant le risque de la rencontre »? Comment accepter d’obérer l’« interstice », cet espace laissé libre au désir où cette « folie dit en creux, pour Simone Molina, un hors temps que les folies dans leurs excès veulent éradiquer » et dans lequel vient « éclore » là aussi une rencontre? Que cette dernière prenne d’ailleurs la forme du silence ou de la parole, comme l’explicitent dans un autre ouvrage remarquable Philippe Breton et David Le Breton (« Le silence et la parole, contre les excès de la communication », Coll. Hypothèses, Eres, 2010). La rencontre contient dans tous les cas, pour Hervé Bokobza, ce « qui es-tu? » en puissance. Nombreuses sont ainsi les contributions de ce collectif qui insistent sur les remises en cause subies par la psychiatrie et qui font écho à de récentes publications (http://paradoxa1856.wordpress.com/2010/10/14/le-souci-de-lhumain-un-defi-pour-la-psychiatrie-colette-chiland-et-al-par-j-l-vannier/). Démarche thérapeutique, démarche politique? Patrick Faugeras reconnaît même au transfert cette « dimension », admettant par là-même cette forme d’existence revendiquée par le sujet psychotique. Dans un texte original et plus poétique, s’effaçant au profit d’un « éloge de la folie » qui prend la parole à sa place, Emile Lumbroso retrace à grands traits l’histoire de cette dernière: du monde arabe où, au VIIème siècle, à Bagdad, au Caire ou à Fez, à la folie étaient prescrits de la musique, de la danse, des spectacles et des récits merveilleux jusqu’à la « machine de guerre » moderne de l’efficacité et de son arme évaluatrice du DSM III. Et de regretter la victoire des deux derniers sur la « désinstitutionnalisation, l’égalité entre les secteurs, la continuité des soins, la démarche généraliste et psychodynamique non discriminante ». Comment, dans cet « irréductible de la folie », s’interroge par exemple Loriane Brunesseaux, organiser une relation thérapeutique en signant « 6 ordonnances en 60 minutes? ». Dans ce déluge de plaintes non dénuées de réalisme, le texte de Jean Oury, « corps et structure institutionnelle » rompt en quelque sorte par sa proximité clinique en dépliant, un peu à la manière des histoires à vocation pédagogique de Freud, une passionnante vignette qui évoque le « transfert dissocié » des schizophrènes mêlant « corps, espace et espace vécu ». Concept que l’auteur étaye sur celui des « greffes de transfert » élaboré par Gisela Pankow. Moyen de rappeler indirectement l’urgente nécessité d’un retour à la « structure institutionnelle polydimensionnelle et polyphonique » réclamée il y a quelques années par François Tosquelles.
Requis pour aborder le second ouvrage, le franchissement de l’Escaut nous entraîne avec Lina Balestriere à Bruxelles, au coeur des activités du « Chien vert », service de santé mentale d’une équipe pluridisciplinaire plongée dans la psychiatrie ambulatoire. Moins polémique, « collant à la clinique » selon l’adage freudien, l’ouvrage préfacé par Bernard Penot met surtout l’accent, dans la tentative de « se tenir au plus près de l’expérience psychotique », sur la nécessité d’inclure famille, parents, entourage et multiples intervenants thérapeutiques. En vue: le déploiement de cette « constellation transférentielle » à même de capter puis de rassembler les morceaux psychiques éparpillés, les brindilles de cet « historial » semées, selon Pierre Delion, par le sujet aliéné. Dans une « ouverture » exceptionnelle de clarté et qui place par surcroît très haute la barre clinicienne, Lina Balestriere, inspirée par Piera Aulagnier qui « conteste l’existence d’un noyau psychotique présent chez chacun », questionne en outre l’approche psychopathologique structurale, « indispensable selon elle à condition d’être oubliée » et réfute la conception déficitaire de la psychose. Sur ce triptyque de départ qui interrogerait plus d’un Lacanien, les membres de son équipe prennent la plume pour raconter leurs expériences analytiques de « rencontres » avec l’ordinaire de cette folie, celle qui « confronte le thérapeute à une plongée dans sa propre sensorialité, parfois jusqu’au tréfonds de lui-même ». Face à la « déliaison et à la destructivité » du patient, rappelle ainsi Pascale Gustin, le sauvetage provient de la « circulation de la parole en équipe pluridisciplinaire ». Dans son récit sur la « rencontre avec un sujet psychotique à son domicile », Paul du Roy décortique quant à lui, la complexité des aspects du transfert et du contre-transfert: comme Maud Mannoni l’avait raconté à propos d’un de ses patients psychotiques informant à sa sortie de séance l’une de ses analysantes dans le salon d’attente, enceinte sans le savoir, il note la capacité du patient schizophrène à percevoir plus finement que le « simple » névrosé l’inconscient du thérapeute. Et fait écho à la célèbre phrase de Jean Laplanche sur la « mise à disposition du patient de l’appareil psychique » de l’analyste. Sans toutefois filer jusqu’au bout la métaphore maternelle du professeur. Nicolas Dewez préfère y voir une capacité à « fonctionner comme une partie du patient », conception qui semble puiser ses ressources dans une double référence: celle de Lacan dans son séminaire de 1968 sur le fait que l’acte du psychanalyste est de « supporter le transfert » et celle de Searles sur les exigences thérapeutiques qui doivent, provisoirement, « accepter la fusion ou la non différenciation ».(http://paradoxa1856.wordpress.com/2008/05/01/harold-searles-leffort-pour-rendre-lautre-fou/).
Dans cet ouvrage -à vivement recommander – où la qualité de pensée intuitive des uns le dispute à la sensibilité pédagogique des autres, on mentionnera en particulier les « réflexions sur l’accompagnement psychanalytique des parents », texte signé par la psychologue et psychanalyste d’enfant Anne Czetwertynski: contribution foisonnante qui n’empêche ni la clarté dans l’expression, ni la restitution et le partage avec le lecteur de l’intensité d’un vécu psychique./.
-Expérience de la folie, Sous la direction de Patrick Chemla, Editions Eres, 2010
-Au plus près de l’expérience psychotique, Le filin et la voile, psychothérapie des psychoses, Coll. Empan, Editions Eres, 2010
Nice, le 19 octobre 2010,
Jean-Luc Vannier
« Et fait écho à la célèbre phrase de Jean Laplanche sur la « mise à disposition du patient de l’appareil psychique » de l’analyste. »
A ce propos je pense également au travail de Bion sur l’appareil à penser les penser (cf. http://paradoxa1856.wordpress.com/2008/06/16/bion-une-theorie-de-la-pensee/)
Je vais parler un peu de psichose dans la lumière de Lacan. Pourtant, c’est trop complexo pour écrire en français, je ne parle pas tant bien ansi. Je vais parler en portugais et ton tardcteur automatique traduit le texte. De même manière, je ne peux pas parler beaucoup, parce que est seulement une commentère, une paragraphe:
Se o psicótico passa por um processo de pôr de fora o significante nome-do-pai, numa suspensão da função fálica em que o real inunda o imaginário e se perde a rigor essa distinção em alguns momentos e relações, ele entra numa relação de só haver Real: para onde vai o « desejo » psicótico, ao que suponho – pois é para lá que se for-A-inclui, não? Nesse caso não é acesso ao Real que o psicótico não tem: ninguém o tem, talvez apenas o autista o tenha, ou não, já que parece não haver dialética. No psicótico esse Real invade o imaginário e onde ele empoça torna-se indistinto. No psicótico o que falha é o princípio de realidade, assegurado pelo nome-do-pai que foi foracluído e se igualou àquele [real]: o « desejo » do psicótico se perde no surto justamente porque é posto lá onde (não) deveria estar, no Real, ele o Realiza. Perde o liame simbólico com a for-A-inclusão do significante ambivalente que é o nome-do-pai: negar o acesso ao Real e com isso fundar o desejo do Outro, metáfora de real(-). O desejo é um paradoxo em si, se funda justo em sua impossibilidade de realizar-se, daí que para o neurótico, nós, o Real é impossível! e a satisfação frustrada, é sempre para frustrar-se necessariamente (strictu senso)
arff.. il faut que Duarte vienne m’aider lui il sait parler le Portugais. Parce que Google traducteur souffre un peu avec Lacan. C’est déjà pas toujours facile en français alors en traduction automatique.. 🙂
Bonjour,
Je me rends compte, que je prends réellement plaisir et intérêt de travail à venir et à revenir sur votre site. Loin de moi, la volonté de mobiliser l’espace de réponse. Mais, ce texte vient faire encore résonnance de sens avec mon expérience et ma recherche actuelle. Vous évoquez, l’importance nécéssaire à revenir à un des concepts outils de la Psychothérapie -institutionnelle : le collectif. Dans le même sens, en » rebond-dire » en quelque sorte avec le passage sur la question essentielle du moment de la rencontre, je tends à mettre en complémentarité l’importance de l’Accueil et de l’Accompagnement de la personne. Pierre Delion me semble poser un préalable à l’Accueil de la personne psychotique : « La fonction phorique, comme engagement d’une équipe à porter et à accompagner un patient , car la personne psychotique est dans un el état de dépendance, qu’elle a besoin longtemps , voir toujours de portage. »
Cordialement, Isabelle H.
Bonjour,
Merci pour ces commentaires. Ne vous inquietez pas de mobiliser l’espace de réponse, c’est de son interactivité et de ses commentaires que notre site tire à mes yeux sa valeur, vos remarques et réflexions sont donc toujours les bienvenues.
Pour ce qui est de cette notion de fonction phorique, que je ne connaissais pas, elle m’évoque l’idée winnicottienne de holding en y ajoutant une idée de « portage groupal ». Cette importance de l’accompagnement par les équipes de patients en grandes difficultés est malheureusement trop remis en cause par les coupes budgétaires actuelles..
Bonjour,
La fonction phorique me semble tout à fait, une fonction d’appui mais aussi de créativité voire d’inventivité pour le patient qui tend à pouvoir s’appuyer sur l’ensemble d’une équipe de soignants. Cette fonction proche comme vous le précisez de celle de Winnicot est impliquante. Elle me semble poser un postulat de départ qui est de l’ordre d’un engagement de l’équipe à « porter » : à savoir accueillir, accompagner la personne dans la singularité de son cheminement personnel : » son être au monde singulier ».
A entendre ici peut-être, dans le sens de la trés belle métaphore du chemin de Jean Oury psychothérapeute institutionnel des 1eres heures . Pour Oury, la rencontre au quotidien est comme » un chemin qui n’est pas fait, il se fait en cheminant et pas simplement avec ses pieds et sa tête mais avec son corps tout entier ».
Dans ce moment où la rentabilité , l’efficacité, l’uniformisation des pratiques viennent interroger le sens du travail clinique. J’aime à repenser à l’appel lancé par un autre psyhothérapeute institutionnel, Lucien Bonnafé. Lors des journées St Albanaises de 1995, il proposait déja aux participants présents de prendre le chemin du maquis pour résister et défendre une éthique du sujet.
Trés cordialement, Isabelle H.