Jouer avec le feu, Libres cahiers pour la psychanalyse, N° 22 -par Jean-Luc Vannier

Jouer avec le feu, Libres cahiers pour la psychanalyse, N° 22, Editions In Press, 2010

Une de mes jeunes analysantes s’interrogeait un jour sur le divan : « je suis jalouse à cause de mon petit ami. Il est pompier et me raconte des histoires incroyables de compétition mettant en jeu la masturbation. Si lui-même prétend ne pas y prendre part, ce dont je doute, cela me trouble ». Comment ne pas associer librement à ces propos les réflexions freudiennes de 1932 « Sur la prise de possession du feu » dont une première hypothèse avait déjà été formulée deux ans auparavant dans « Malaise dans la civilisation » : celle du « plaisir à tonalité homosexuelle d’éteindre le feu par un jet d’urine » ? Plaisir suivi d’un « renoncement » culturel afin de permettre à l’humanité de conserver et de mettre à son service la flamme salvatrice. Une fabuleuse saga prométhéenne dont les moindres épisodes viennent d’être décortiqués dans le numéro d’automne des Libres cahiers pour la psychanalyse paru aux Editions In Press : agapes divines, dieux trompés sur la viande sacrificielle, sanction contre l’humain privé de l’accès au feu,  transgression libératrice de Prométhée qui dérobe celui-ci en le dissimulant dans le creux d’une tige de fenouil, atroce punition puis délivrance finale du bienfaiteur. Une légende qui mêle, pour le plus grand bonheur de l’analyste, énigmes du désir, rapports entre jouissance, souffrance et culpabilité, symboles phalliques, oppositions pulsionnelles et retournements en son contraire.

 

 

Une dizaine d’auteurs évoque, chacun de leur point de vue, cette chose étrange à la fin qu’est le feu pour plagier un célèbre académicien. La psychanalyste Laurence Apfelbaum commente le texte d’un architecte romain du Ier siècle selon lequel la « découverte du feu amène les hommes à se réunir ». Sa collègue Josiane Rolland analyse les multiples dichotomies inhérentes au mythe -feu et eau, dedans et dehors, vol et sanction- qui renvoient, selon elle, aux liens entre jouissance et souffrance. Suggérant les passerelles avec la littérature contemporaine féminine, Françoise Laurent étaye, quant à elle, son élaboration sur l’œuvre naissante de Marie Ndiaye « venue coloniser » sa lecture de Freud.

 

 

Si cet ouvrage n’épargne pas aux lecteurs quelques considérations parfois répétitives compte tenu d’une tendance des rédacteurs à ne pouvoir se dégager de l’emprise textuelle exercée par le fondateur de la psychanalyse, quatre contributions sortent toutefois du lot. Signée d’un psychiatre et expert judiciaire honoraire, la première aborde sous l’angle du « feu criminel », l’incendie volontaire, « l’un des trois crimes majeurs avec l’homicide et l’agression sexuelle ». Rien que cette étrange et inquiétante association judiciaire mériterait une étude complète, susceptible de mieux éclairer « le polymorphisme des tableaux cliniques ». Caractéristique qui n’est pas, là non plus, sans rappeler la dénomination choisie par Freud pour illustrer, en 1905, la seconde partie de ses « Trois essais sur la théorie de la sexualité». Dénégation médico-légale, selon l’auteur, puisque « l’incendie délibéré comme équivalent sexuel pervers, excitation fétichiste » ou pulsion scopique provoquant l’orgasme « sont totalement passés sous silence par les deux grandes classifications des troubles mentaux ». Dans un développement très convaincant, Jean-Yves Tamet questionne, pour sa part, la « flamboyance de l’énurésie »  au travers des soins maternels portés au petit mâle et à même de provoquer simultanément des « manifestations précoces de masculinité » et le « trouble maternel ». Il l’associe aux « toiles incandescentes » du peintre anglais Turner montrant l’incendie de Londres en octobre 1834. En élaborant sur l’attachement de cet artiste à la figure maternelle, le psychanalyste établit un parallèle édifiant entre la méditation freudienne et un exposé de Winnicott sur l’énurésie : un « produit de l’angoisse accompagnant les phénomènes masturbatoires ». Les « turbulences phalliques » examinées ensuite par Monique Schneider méritent également une lecture attentive. L’analyste y convoque le Pr Laplanche afin d’éclairer les enjeux de cette « domestication du feu » à la lumière du postulat freudien de 1920 opposant Eros et Thanatos : un « paradoxe », souligné par l’auteur des « Nouveaux fondements de la psychanalyse », qu’il y aurait à « vouloir apprendre à vivre à quelque chose qui est fait justement pour ne pas vivre, pour être une machine à évacuer ». A l’échelle olympienne, le « sperma puros » de Zeus allume le feu de la vie. Mais transféré à l’homme, il sait aussi l’éteindre. « Corrélation, pour Freud, entre ambition, feu et érotisme urinaire ».

 

 

Enfin, on découvrira avec intérêt, un texte passionnant d’Anton Ehrenzweig « La culpabilité de Prométhée » où l’artiste évoque le processus créatif en terme de « voyeurisme pan-sexuel archaïque ». Avec, en particulier, un long passage sur le Parsifal wagnérien : « l’idiot pur qui, en refusant le dangereux accouplement avec la sorcière Kundry,  ne partage pas le désir interdit ». A cette condition, il devient le seul destinataire possible de la « lance sacrée ». Finalement, des histoires d’hommes : cette masturbation masculine collective qui trouble ma patiente entre-t-elle encore dans la « sublimation du courant androphile » citée par Freud dans une célèbre lettre du 7 août 1901 ?

 

Nice, le 8 février 2011

Jean-Luc Vannier

Une réponse à “Jouer avec le feu, Libres cahiers pour la psychanalyse, N° 22 -par Jean-Luc Vannier”

  1. Bonsoir, je vis au Portugal et j’ai besoin de ce magazine pour faire ma thèse de maîtrise en psychocriminologie, cependant, ne peut pas acheter en ligne car les sites ne sont pas accepter mon numéro de carte de crédit! Quelqu’un peut m’aider à obtenir ce magazine? merci!

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