L’échographie de la grossesse, Promesses et vertiges, dir.Michel Soulé -par Jean-Luc Vannier

L’échographie de la grossesse, Promesses et vertiges, Sous la direction de Michel Soulé, Coll. « A l’aube de la vie », Eres, 2011.

 

Qui n’a pas déjà observé une femme enceinte ? Certaines irradient de bonheur et s’enorgueillissent de cette « être en devenir » avec lequel elles tissent jour après jour un lien affectif. D’autres, en revanche, semblent porter leur croix : mines tristes, lasses d’attendre la délivrance, elles se traînent péniblement, lestées d’un fardeau dont elles paraissent regretter l’origine. Sombre présage. L’état de grossesse « est en lui-même source de haine envers le fœtus », affirme le psychiatre d’enfant François Sirol dans un remarquable ouvrage de 1999 rédigé sous la direction de Michel Soulé et doté d’un impressionnant glossaire d’une centaine de pages. On n’hésitera pas à inviter le lecteur à se procurer sa récente réédition dans la collection « A l’aube de la vie » aux Editions Eres.

Rien ne sert donc d’attendre, selon les « promesses et vertiges » de cette passionnante « Echographie de la grossesse », le babillage des premières semaines pour prétendre saisir la nature psychologique du lien entre une mère et son bébé. Le « désir d’enfant » bientôt suivi d’une confirmation de la grossesse n’annoncent-ils pas cette « protocommunication » qui précèdera la « protoconversation » langagière ? Un des singuliers tournants de cette progressive interaction infra-verbale réside dans le passage désormais obligatoire de l’échographie dont les spécialistes ont « pu mesurer les enjeux dans la vie fantasmatique des parents ». Quasi rite de passage non dépourvu d’angoisse : attendue comme l’oracle décisif sur la bonne ou mauvaise santé du « futur-bébé-encore-fœtus » au risque, souligne Bernard Golse qui en signe la préface, d’une « médicalisation » réductrice, cette « rencontre visuelle prénatale » représente pourtant « l’un des premiers temps d’une dynamique heureuse d’accès à la parentalité ».

Sous couvert de l’alibi thérapeutique, « l’intrusion échographique » dans une procédure jamais neutre, rappelle l’obstétricien Luc Gourand, peut toutefois provoquer chez la parturiente un sentiment de « chosification » et bouleverser des équilibres psychologiques encore fragiles. Elle peut même rompre, comme l’explique également la pédopsychiatre Marie-José Soubieux,  « l’unité narcissique de la mère » : violence fondamentale où chaque fœtus est « devenu suspect jusqu’à preuve du contraire ». Cette nécessaire prise en compte d’un au-delà du corps impose, selon Sylvain Missonnier dans un développement d’une grande finesse analytique, une « interdisciplinarité » qui mêle l’expérience de « somaticiens » à celle de « psychistes » : celle-ci intrique, des « traces énigmatiques de son séjour utérin, de son passage périnatal » et de sa « première enfance », tous les éléments de l’histoire passée -celle des parents et de leurs ancêtres- avec celle à venir de sujet à naître et dont « l’appartenance humaine n’est pas pleinement acquise ». « La vie intra-utérine et la première enfance sont bien plus en continuité que ne le laisse croire la césure frappante de l’acte de naissance », aimait à rappeler le fondateur de la psychanalyse.

Ce moment échographique mobilise d’autant plus les représentations psychiques qu’il se présente sous la forme d’une image bousculant instantanément les constructions précédemment établies dans l’esprit de la mère : « masse d’informations qui prennent de court », mobilisent les défenses hallucinatoires et « réactivent les fantasmes de la scène primitive » pour Paul Denis selon lequel la future maman peut succomber au « voyeurisme » de l’image. Une image dont les pouvoirs de transformation engagent, estime le spécialiste Serge Tisseron, la femme enceinte, sa famille et le médecin dans une « triple opération » d’enveloppement. Loin de déranger, ajoute le psychanalyste, le flou des contours de l’image échographique concourt à la fascination exercée par cette production visuelle. Il n’est d’ailleurs pas interdit de penser que c’est l’imaginaire féminin qui procédera à la mise au point finale du cliché : tentative de se réapproprier un corps et son contenu qui lui échappent lors d’une exhibition forcée ? Rappel inconscient du cataclysme pubertaire vécu par la jeune fille comme un « principe masculin actif » contrariant son entrée dans la passivité féminine ?

D’où une double conclusion qui interroge à la fois la « place de l’échographie dans le suivi d’une grossesse normale » -95% d’entre elles confirment l’absence de pathologie- et, en écho analytique à l’ambivalence de la femme enceinte sur sa propre situation, la « méchanceté inconsciente » des échographes dont le pouvoir les confronte parfois à un diagnostic de malformation.

Nice, le 13 avril 2011

Jean-Luc Vannier

3 réflexions sur “L’échographie de la grossesse, Promesses et vertiges, dir.Michel Soulé -par Jean-Luc Vannier”

  1. Pingback : L’ambivalence de la mère, Michèle Benhaïm,-par Jean Luc Vannier | Paradoxa

  2. Bonjour,
    Mais quels sombres interprétations. L’échographie peut-être refusée. Connaissez-vous des parents disons avant l’ela découverte de l’echographie qui n’imploraient pas presque toute la durée de la grossesse « Dieu faite que mon enfant soit normal » « Est-ce une fille ? Est-ce un garçon ? » Nous ne pouvons pas nier l’héritage historique qui entoure tous les mystères de la naissance à la vie. L’intérieur d’un corps humain nous restait invisible. Qu’est-ce qui fait peur à « vouloir savoir » ? Je songe par exemple que l’échographie ne s’applique pas seulement à suivre une grossesse, mais aussi dans un vaste domaine qui facilite un diagnostique plus juste et plus rapide et ce pour réussir à intervenir au mieux pour les patients. Nous vivons une époque où les décisions ne sont plus prises unilatéralement. Et je pense que la maman qui désire l’échographie (ainsi que le papa, frère, soeur) ne risque pas psychiquement le sombre tableau qui est proposé ici. Avant que l’échographie n’existait c’était pire, j’en suis certaine. A débattre.
    Cordialement
    Marianne Antonis

  3. pourquoi tant de catastrophisme , pour qui invoquer l’Autre ,créateur ,
    destructeur ?
    La grossesse, directe réussite d »Amour, apostrophe toute la structure humaine, bouleverse les certitudes , accroche , déja, l’historique fusionnel
    au parcours d’individuation , dans le fabuleux voyage de la vie.. sans echos,,,

Laisser un commentaire

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

*