Le modelage figure parmi les médiations thérapeutiques et, dans les différentes matières utilisées pour cette activité, se trouve notamment la pâte à modeler. Avant d’aborder l’intérêt thérapeutique de l’utilisation d’un tel médium, voyons de quoi il s’agit. Le Petit Larousse (1997) définit le mot « pâte » par une « préparation de composition variable, de consistance intermédiaire entre le liquide et le solide, et destinée à des usages divers ». Cette explication vague a tout de même l’intérêt de pointer la question du lien, de l’intermédiaire, de la transformation d’un état à un autre, à la fois du même et du différent. De par sa consistance, la pâte à modeler permet alors de prendre la forme qu’on souhaite, consciemment ou non, lui donner. De plus, cette forme ne se fixe pas, elle est en constante évolution, en mouvance perpétuelle ; l’utilisateur peut donc continuellement se reconnaître en elle à travers les aléas de son parcours, les progressions, les moments de régression et les changements de direction.
La pâte à modeler, de par ses qualités sensorielles, correspond au médium malléable par excellence et faciliterait la symbolisation. « Support de projections, elle permettrait de contenir et d’imprimer les mouvements psychiques. »[1] S. Krauss, en se référant à la grille de repérage clinique des étapes évolutives de l’autisme infantile traité de G. Haag, a développé une grille d’analyse des productions de modelage des enfants autistes qui rendrait compte de leur évolution psychique. Elle considère le modelage comme un langage corporel qui permettrait d’accéder à la pensée de l’enfant autiste et serait représentative d’une certaine organisation psychique.
« Le processus de modelage se situe dans l’espace potentiel mais l’objet modelé n’est pas un objet transitionnel car le malade ne le découvre pas comme une donnée, il le crée. »[2] G. Pankow a apporté une contribution importante et originale à la psychothérapie psychanalytique des psychoses et a fondé son travail de thérapie avec les patients psychotiques sur une méthode de structuration dynamique de l’image du corps qui requiert la fabrication de modelages par le patient. C’est cette technique du modelage qui s’avère être l’apport le plus original de Pankow. Ce travail mené à partir de la pâte à modeler vise « soit à provoquer l’émergence d’images mentales, jusqu’alors inexistantes, soit à susciter des images mentales contenues et contenantes, moins terrifiantes et désorganisantes. »[3] A travers la littérature sur le sujet, Pankow apparaît comme une des ancêtres du recours aux médiations thérapeutiques dans la psychose, et, même si cette psychanalyste n’a pas travaillé avec des enfants, sa théorisation sur le modelage « comme méthode de structuration dynamique de l’image du corps, comme réactivation d’expériences corporelles irreprésentables et du lien à l’objet primaire, comme support pour la mise en mots »[4] constitue un apport majeur dans la conceptualisation des médiations thérapeutiques dans le registre de la psychose infantile.
S. Krauss (2006) explique qu’en introduisant un médium malléable dans le cadre d’un dispositif thérapeutique et en utilisant la créativité de l’enfant autiste qui va pouvoir projeter ses angoisses et son vécu psychique, le modelage servirait alors d’étayage pour la construction du soi chez des enfants dont la personnalité à été compromise précocement. Si nous nous intéressons spécifiquement à la problématique de la séparation et à son lien avec le support projectif que représente la pâte à modeler, il est surtout pertinent de relever que « malaxer permet ce travail de contact-fusion puis de différenciation » [5]. La pâte à modeler peut devenir un support d’élaboration à la fois des vécus d’arrachement lors des séparations et de premiers mouvements identificatoires.
Pankow (1969) a montré que la technique du modelage permettait de réactiver des expériences sensori-affectivo-motrices en lien avec l’objet primaire, expériences qui n’ont pas pu être transformées en images ou en mots, en d’autres termes qui n’ont jamais pu être symbolisées. « Les productions individuelles portent la trace de ce à quoi le sujet a été historiquement confronté, c’est-à-dire la trace de la réalité subjective de lien de l’enfant à ses objets primordiaux et du mode de présence de ces objets. »[6]. L’utilisation par l’enfant de la pâte à modeler permettrait donc de saisir les modalités de son rapport primaire à l’objet.
La plupart des auteurs ayant travaillé avec le modelage comme médium malléable se sont penchés sur la question de l’image du corps et sur ce lien à l’objet primaire mais pas spécifiquement sur la problématique de séparation, avec à l’appui les observations et les analyses faites à travers la manipulation de la pâte à modeler. C’est donc précisément ce que nous nous proposons d’étudier dans ce mémoire.
[1] KRAUSS, S. (2006). L’enfant autiste et le modelage : de l’empreinte corporelle à l’empreinte psychique. Ramonville-Saint-Agne : Erès, p. 44.
[2] PANKOW, G. (1977). Structure familiale et psychose. Paris : Aubier Montaigne, p. 45.
[3] BRUN, A. (2007). Médiations thérapeutiques et psychose infantile. Paris : Dunod, p. 28.
[4] BRUN, A. Ibid, p. 29.
[5] KRAUSS, S. (2006). L’enfant autiste et le modelage : de l’empreinte corporelle à l’empreinte psychique. Ramonville-Saint-Agne : Erès, p. 34.
[6] BRUN, A. (2007). Médiations thérapeutiques et psychose infantile. Paris : Dunod, p. 56.