La psychose et le lien mère-enfant dans la théorie psychanalytique par Aurélie Moreau

De nombreux psychanalystes considèrent la psychose comme la conséquence d’une interrelation qui ne permet pas, pour des raisons qualitativement diverses, la structuration normale du nourrisson et la construction d’une relation normale à la réalité. Cette interrelation est bien entendu celle qui lie le bébé à sa mère, c’est-à-dire son lien primaire, et relèverait donc d’un dysfonctionnement. Nous pouvons notamment évoquer Winnicott qui nous sensibilise à l’impact de la « défaillance de la fonction de la mère ordinaire normalement dévouée, à un moment donné ou pendant une période donnée »[1]. Cet auteur, qui a surtout cherché à théoriser le développement de la psyché chez le nourrisson et le petit enfant, met en exergue le caractère fragile des tous premiers liens en expliquant qu’une « sorte de communication s’établit avec force depuis le tout début de la vie de chaque individu, et quel que soit le potentiel, l’édification des expériences vécues – ce qui devient une personne – ne tient qu’à un fil, le développement peut être suspendu ou dévoyé n’importe quand, comme il peut… ne jamais se manifester »[2].  Winnicott attribue donc au lien primaire qui s’établit entre le nourrisson et son objet maternel une importance considérable dans le développement ou non d’un fonctionnement psychotique.

Dans leur définition de la psychose, Laplanche et Pontalis précisent que « fondamentalement, c’est dans une perturbation primaire de la relation libidinale à la réalité que la théorie psychanalytique voit le dénominateur commun des psychoses, la plupart des symptômes manifestes étant des tentatives secondaires de restauration du lien objectal. »[3]. D’une manière générale, les travaux psychanalytiques étayent donc l’hypothèse d’une perturbation dans le développement des toutes premières relations. Mais « il ne faut pas penser à propos des enfants souffrant de psychose infantile que ce sont des enfants normaux chez qui une mère émotionnellement dérangée aurait induit un processus psychotique. Ces enfants sont vulnérables de constitution et peuvent être prédisposés au développement de la psychose. C’est souvent l’existence même d’un défaut constitutionnel du moi de l’enfant qui tend à créer le cercle vicieux de la relation pathogène mère-enfant, en stimulant la mère à réagir vis-à-vis de l’enfant d’une manière nuisible à ses tentatives de séparation et d’individuation ».[4] Le sujet aurait donc une part active indéniable dans l’établissement de son lien à l’objet primaire et ne serait pas uniquement un petit être passif qui se laisserait entièrement modelé par sa mère.

Sans vouloir donc stigmatiser les mères d’enfants psychotiques comme « mauvaises », ce modèle psychanalytique de compréhension de la psychose a l’intérêt de se focaliser sur le lien primaire mère-bébé et donc d’axer son dispositif thérapeutique sur les mouvements transféro-contre-transférentiels qui réactualisent ce lien et permettent de le travailler.

A. Psychose autistique et identification adhésive

Intéressons nous à présent aux psychoses autistiques et précisément au lien mère-enfant lorsque celui-ci a un fonctionnement autistique. Dans la filiation de Bion, F. Tustin et D. Meltzer ont décrit un état antérieur à l’individualisation d’un self ayant constitué une séparation d’avec les objets, et une relation préalable à l’identification projective, l’identification adhésive. Meltzer (1984) décrit effectivement l’autisme comme une forme désespérée d’attachement de l’enfant à sa mère. Réputé pour son travail sur cette forme de psychose infantile, cet auteur considère que l’enfant autiste cherche à maintenir un lien exclusif et « omnipotent » avec un objet maternel. Il évoque la bidimensionnalité de la relation d’objet comme précédant la tridimensionnalité et l’identification adhésive comme une défense contre le ne-pas-cesser-de-tomber. Le mécanisme d’identification adhésive décrit initialement par E. Bick entre la mère et le nourrisson, dans le sens d’une identification narcissique primitive où sujet et objet sont en continuité corporelle, se manifeste par des mouvements de rapprochements momentanés, instantanés ou durables du bébé avec son environnement social et physique. G.Haag (1984) évoque elle le terme d’identité adhésive, sorte d’émotionnalité primitive à l’œuvre dans la fusion bidimensionnelle, de  » collé à  » fusionnel où le sentiment d’identité séparée est plus ou moins aboli.

Dans le cas d’un enfant au fonctionnement autistique, « ce mécanisme ne lui permettrait pas de rencontrer l’environnement dans ce qu’il comporte de lié et d’uni. Ces absences de liens constituent des trous de la psyché. Chaque sensation, perception, représentation est incomplète. L’enfant grandit avec cette impression constante de vide, de manque qui marque chacun de ses comportements. Il ne peut se constituer comme sujet, faute d’un soi complet et vivifié par des plaisirs liés à ses interactions et à ses perceptions. »[5] Pour Tustin (1989), un « trou noir », vécu d’annihilation, d' »agonie primitive » pour reprendre l’expression winnicottienne, serait conséquent à la perte du sein alors que l’enfant n’a pas encore constitué la différenciation dedans/dehors et qui serait donc vécue comme un arrachement de la bouche avec le mamelon. Cet arrachement provoquerait alors une perte du sentiment d’existence.

On peut estimer que l’identification adhésive est une véritable conséquence, pour une part, de la vie utérine. En effet, le « fantasme de corps-unique, primordial chez tout être humain, a bien sûr son prototype biologique qui prend naissance dans la vie intra-utérine, où le corps-mère doit véritablement subvenir aux besoins vitaux des deux êtres. »[6] Si le développement de l’enfant est non pathologique, celui-ci va évoluer vers une réelle séparation et individuation, faisant parallèlement le deuil de ce fantasme de corps-unique. Par contre, on peut retrouver dans les fonctionnements psychotiques, autistiques et symbiotiques, cette illusion de n’être qu’un, d’être en fusion parfaite. L’identification adhésive est donc une manifestation de l’intolérance à la séparation. Si, pour l’enfant, seul existe ce qui est au contact de sa propre surface, la moindre modification dans l’environnement ou dans la surface de l’objet le plonge alors dans un profond désarroi. Adhérer est donc une défense primitive contre la perte mais le bénéfice est éphémère car cela exige un état immuable qui ne permet pas d’atténuer la souffrance des futures séparations.


[1] WINNICOTT, D.W. (1992). Le bébé et sa mère. Paris : Payot, p. 27.

[2] WINNICOTT. Ibid, p. 128.

[3] LAPLANCHE, J. et PONTALIS, J.-B. (2007). Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF, p. 356.

[4] MALHER, M. (1990). Psychose infantile : symbiose humaine et individuation. Paris : Payot, p. 139.

[5] ADRIEN, J.-L. (1996). Autisme du jeune enfant : développement psychologique et régulation de l’activité. Paris : Expansion scientifique française, p. 9.

[6] DELION, P. (2002). Corps, psychose et institution. Ramonville Saint-Agne : Érès, p.14.

Article mis en page par Vincent Joly

2 réflexions sur “La psychose et le lien mère-enfant dans la théorie psychanalytique par Aurélie Moreau”

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