Philip K.Dick : angoisse et dévoilement

Le questionnement du vrai tient une place centrale dans les romans de Philip K.Dick et on retrouve dans nombre de ses oeuvres une même interrogation : peut-on se fier à ce qui nous apparaît? Toutefois, si le héros dickien est mû par une quête du sens, cette recherche heuristique n’est pas, en soi, propre à Dick. On la retrouve, par exemple, dans tout roman policier et dans de nombreux romans d’apprentissage. Nous chercherons donc à définir la spécificité de cette quête chez P.K.Dick.

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Dans les romans « classiques », la recherche de la vérité se confond très souvent avec l’action dramatique elle-même. Le héros (par exemple le policier) cherche à découvrir la vérité (qui a tué la marquise?). Sa découverte clôt le roman. Il en est de même dans certains Bildungsromans : l’enfant qui découvre, au début du roman, que ses parents ne sont pas ses vrais parents va rechercher ces derniers à travers une série de péripéties. Dès lors, lorsque Princesse Sarah retrouve son père, le dessin animé est terminé car la vérité a triomphé du mensonge. On pourrait à loisir multiplier les exemples pour retrouver un même schéma. Une quête de vérité se déploie à travers tout le roman. Lorsqu’enfin le héros peut distinguer le vrai du faux, il restaure l’ordre du monde et le roman s’achève. Je croyais que A était vrai (tout accusait la femme de chambre) mais je dévoile finalement la vérité B cachée derrière les apparences ( c’était le majordome le véritable coupable). Je suis alors rassuré car le monde est un peu plus solide, un peu plus vrai. Chasser le faux m’a permis de découvrir le vrai et de rendre mon univers plus sûr. Cette recherche de la vérité peut porter soit sur un élément du réel (le meurtrier, le nom du père etc.), soit sur la réalité elle-même comme dans les oeuvres de science fiction. Ainsi, dans Matrix,  Néo découvre, par exemple, que le monde dans lequel il vit n’est pas le monde réel. En découvrant la vérité et en la communiquant au reste de l’humanité, il va rétablir l’ordre, et le film peut se terminer.

Ce shéma ne se retrouve nullement dans les romans de Dick. Chez lui, le dévoilement d’une vérité cachée derrière les apparences ne permet pas de découvrir les fondations véritables et solides du monde mais inaugure, au contraire, son effondrement progressif. A l’inverse de ce qui se produit dans Matrix, c’est au moment où le héros découvre que ce qu’il croit n’est pas la vérité que son univers s’effondre peu à peu sans qu’un autre puisse venir le remplacer. Le dévoilement de la vérité derrière les apparences loin de clore la quête du personnage ouvre le procès de la notion de vérité elle-même.

Le schéma heuristique classique :

« La vérité n’est pas A mais B. Fin de l’histoire. »

est remplacé  par un autre shéma qui peut être de deux types. Premièrement :

« la vérité n’est pas A mais B mais C mais D »..

Dans SIVA, par exemple, Horselover Fat, le héros du roman, est frappé par un faisceau de lumière rose qui semble transmettre des infromations au héros. Une multitude d’interprétations vont se succéder pour tenter de rendre compte de cet événement qui met en cause la réalité de notre monde : s’agit-il d’un rayon envoyé par des extraterrestres, d’un message codé de la CIA, d’une manifestation de Dieu, Horselover Fat est-il fou.. ? Les interprétations se succèdent les unes aux autres sans que jamais une interprétation dernière puisse permettre de rendre compte de l’événement de manière satisfaisante. Au contraire, tout se passe comme si le dévoilement d’une nouvelle théorie, qui se manifeste d’abord comme une révélation, comme l’aboutissement de la quête heuristique, venait au contraire faire vaciller un peu plus la notion de vérité elle-même.

. Certains romans sont construit sur un second schéma :

« la vérité n’est pas A mais B non en fait c’était vraiment A. Ou B. Ou A… »

Dans Le Dieu venu du Centaure, Léo Bulero, dirigeant d’une entreprise qui fournit le D-Liss, la drogue consommé par les colonies martiennes, est confronté à Palmer Eldritch. Ce dernier, de retour de Proxima du Centaure, ramène dans ses bagages une nouvelle substance bien plus efficace que le D-Liss. En consommant cette nouvelle drogue, Léo Bulero est propulsé dans un autre monde qu’il prend d’abord pour la réalité. Ce rendant compte qu’il s’agit d’une illusion, il cherche à en sortir pour rejoindre le monde réel. Toutefois, une fois de retour sur terre, il ne sait plus s’il est réellement sorti de l’emprise de la drogue et si le monde dans lequel il vit est la réalité ou une illusion. Les deux interprétations se succède l’une l’autre laissant le personnage dans un doute permanent quant à la réalité du monde dans lequel il vit.

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  Le dévoilement de la vérité correspond au moment où le roman déraille. Le voile des apparences s’apparentait aux oeillères qui maintenaient le cheval romanesque dans le droit chemin. Une fois ce voile déchiré, la trame romanesque s’effondre et l’action perd peu à peu sa cohérence. Le roman dickien ne se clot pas, il se dissout, le vascillement du réel rendant peu à peu inaudible la voix narrative elle-même.

6 réflexions sur “Philip K.Dick : angoisse et dévoilement”

  1. Bel article, K. Dick un maitre du genre car il donne à penser plus que d’autres. Néanmoins de mon souvenir la fin de matrix le 3, n’est pa si idyllique que ça et neo découvre une vérité sur lui bien insupportable : l’éternel répétition de la même lutte inutile où tel un avatar de lui-même il rejoint Sisyphe (l’incarnation de l’absurde) après etre passé par oedipe. En fait néo à cet élément de tragique qu’il déjoue une illusion pou rentrer dans une autre.

    Il est intéressant de noter que si K.Dick préfigure une réflexion autour des illusions qui se chevauchent elle aboutira à des auteurs comme Douglas Adams et son guide du voyageur galactique qui va pousser l’absurde au rang de ce qui fait le coeur du propos et ceci avec un art du non sens peu égalé en SF.

    K.Dick reprend une thématique classique du théatre baroque de Caldéron comme dans la vie est un songe où la barrière entre différencie fiction et réalité devient particulièrement opaque. En cela il est un des 1ers auteurs à avoir donné à la littérature SF ses lettres de noblesses.

  2. Merci,
    Pour ce qui est de matrix 3, en fait, je dois avouer que je n’ai vu que le 1 et le 2 donc j’ai peut-être dit des connneries 🙂
    Sinon je n’ai pas lu Douglas Adam mais je vais aller voir à quoi ça ressemble.

    Par rapport à Calderon je pense que les principales différences tiennent dans la place accordée à la vie biographique et à la folie. En effet, Dick a pu croire qu’il avait rencontré dans sa vie certains personnages de ses romans (cf. notamment la fille aux cheveux noirs). On bascule d’un rapprochement entre fiction songe et réalité à un rapprochemenet entre fiction, biographie et folie.
    J’espère écrire un autre article sur Dick prochainement à ce propos…

  3. tiens bonne idée un article plus biographique. ne connaissant pas du tout la vie de K. Dick. sinon ce que tu évoques peut sans doute se comparer à la gradiva de jensen et surtout l’analyse qu’en a fit Freud.

    pour douglas adam tu peux avoir une idée de la reference que sait : http://fr.wikipedia.org/wiki/La_grande_question_sur_la_vie,_l'univers_et_le_reste

    c’est le fameux : « la reponse est 42 »

    je te conseille de voir matrix 3 qui vraiment conclut bien et rattrappe la mauvaise qualité 2. et surtout penser à son fil : alice au pays des merveille : les choses ne sont jamais ce qu’on croit : on va de trompe-l’oeil à trompe l’oeil

  4. Ok je vais me faire une petite séance de visionnage de matrix 3 🙂 , c’est vrai que le 2 était pas terrible et que j’en étais un peu resté là.
    Pour Douglas Adam, j’ai regardé qqs articles wikipedia et ça a l’air assez sympa (ça me fait penser à une sorte de Terry Pratchett version SF).

    Pour ce qui est de la vie de Dick, elle vaut le détour, pour le côté artiste maudit du XXe siècle. Il a passé sa vie ruiné et parano (il faut dire qu’il était étudiant à Berkeley et proche des commmunistes dans les années 60-70 et qu’il était fiché par les flics). Il écrivait compulsivement en prenant un peu trop d’amphet (ce qui n’a pas arrangé la parano) et était tout le temps pris des histoires sentimentales pour le moins compliquées..
    La fin de sa vie confond totalement ses écrits fictionnels et sa vie personnelle ou ses expériences mystiques rendant floue la barrière entre personnage, narrateur et auteur..

  5. Si tu aimes Pratchet tu aimeras certainement la trilogie en 5 volumes 😉 de Douglas adam : pour avoir l’ordre et les titres : http://blog.burninghat.net/2009/03/12/la-vie-lunivers-et-le-reste/
    Par moment j’ai vraiment l’impression de voir les monty python dans l’espace.

    Pour matrix visiblement il était prévu 2 films et non 3, d’où le coté remplissage et inutile du 2.

    intéressant la vie de K. Dick. du coup je suis encore plus étonné de cette coïncidence : K. Dick —> le cas Dick de klein

  6. Bonjour aux collègues de Paradoxa et merci pour ce billet très intéressant.

    Nous avions débuté sur Digression un petit cycle autour de K.Dick en se concentrant sur le rapport entre ses oeuvres et leur interprétation cinématographique.

    J’y laisserai un lien vers ce billet.

    @jisee : j’ai eu la même interprétation de la fin de Matrix.
    A noter qu’à la fin du 2 déjà, il avait eu le même type de choix à faire lors de sa rencontre avec l’Architecte.
    A cet instant, il crût pouvoir se sortir de la fatalité d’un cycle redondant.
    Mais ce ne fût que pour mieux…

    Vincent, je n’ai pas oublié qu’on avait (il y a longtemps) l’idée de faire un petit projet en commun.
    Si tu le coeur t’en dit, pourquoi pas sur K.Dick 😉

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