La question des suicides en lien avec le travail a fait son entrée dans l’espace public à la suite des enquêtes journalistiques menées après les séries de suicides enregistrées chez Renault, Peugeot et EDF en 2007. Aujourd’hui, c’est suite aux évènements tragiques de France Télécom (23 suicides en 18 mois!) que les médias s’emparent de cette question. Il s’agit maintenant d’un fait de société qu’on ne peut ignorer, mais la question qui persiste est de savoir comment la situation dans le monde du travail c’est dégradée au point où des individus en viennent à sacrifier leurs vies?
Rapports entre suicide et travail
D’une façon générale, les suicides sur les lieux de travail apparaissent dans les pays occidentaux à partir des années 1990 (il faut néanmoins donner une place d’exception au secteur agricole, où l’on recensait déjà des suicides auparavant). L’investigation des causes du suicide est souvent semée d’obstacles nombreux et divers, liés entre autre à la nature même de l’acte suicidaire et aux affects extrêmement pénibles qu’il suscite chez l’entourage. Ainsi, il est souvent impossible de réunir des données qui permettraient d’imputer le suicide à une cause donnée, d’où la difficulté récurrente d’élucider le lien existant entre suicide et conditions de travail (ce qui conduit sans doute à une sous-estimation des suicides en lien avec le travail). Mais dans la mesure où le suicide apparaît généralement comme un acte adressé à autrui, à valeur de message, les suicides perpétrés sur le lieu de travail semblent indiquer clairement le chemin à suivre: le travail est alors convoqué dans l’analyse de l’acte suicidaire.
Trois différentes approches théoriques s’affrontent aujourd’hui sur cette question:
– la première, dite approche par le « stress », considère que les troubles psychiques ou somatiques dont souffrent les individus sont en lien avec une faiblesse ou vulnérabilité individuelle. Leur incapacité à gérer (cope with) le stress serait à l’origine de leurs difficultés.
– la seconde approche, dite « structuraliste », consiste à attribuer le suicide à des failles individuelles prenant leur origine dans un certain nombre de facteurs relevant du sujet (l’histoire individuelle, facteurs génétiques, etc.). Le travail n’est pas directement impliqué, mais il fonctionnerait comme un traumatisme révélateur de ces failles personnelles.
– la troisième approche, l’analyse « sociogénétique », stipule que le travail et ses contraintes sont décisives dans la survenue de la décompensation psychopathologique et donc du suicide. L’organisation du travail a un impact majeur sur la santé et ne peut être écartée comme élément déclencheur de toute décompensation psychopathologique jusqu’à preuve du contraire.
Il nous semble impossible de défendre la vulnérabilité ou la fragilité individuelle comme causes uniques du suicide. En effet, si la cause fondamentale était de ce côté, comment pourrait-on expliquer qu’un grande nombre des individus qui se suicident aujourd’hui ne présentent aucun signe pré-pathologique et affichent même d’excellentes performances professionnelles? La clinique du suicide au travail révèle que dans la grande majorité des cas ce sont les sujets les plus zélés et les plus compétents qui finissent par se donner la mort. Ce sont les meilleurs d’entre nous qui finissent par abdiquer et ce au nom de leur travail!
C’est pourquoi je défends que l’organisation du travail doit être mise en cause dans la survenue des suicides. C’est dans la mesure où le travail joue un rôle de premier plan dans la construction de la personnalité qu’il peut devenir pathogène, lorsque certaines formes d’organisation du travail contribuent à la fragilisation des ressources psychiques des individus. C’est bien du côté des nouvelles formes d’organisation du travail (évaluation individualisée des performances, qualité totale, etc…) qu’il convient de chercher les raisons de ces suicides qui témoignent d’une dégradation profonde de la solidarité et du vivre ensemble.
(à suivre)
Duarte Rolo.
Bibliographie:
– Bègue F. et Dejours C.(2009), Suicide et Travail: que faire?, PUF, Paris.
J’ai tomber sur votre article purement par hasard en faisant une recherche sur internet après avoir lu cette autre article écris a propos du suicide par Nelly Arcand (Écrivaine Québecoise s’étend elle-même enlever la vie la semaine derniere). À lire..
http://fr.canoe.ca/divertissement/chroniques/nelly-arcan/2008/05/15/5577551-ici.html
« Il nous semble impossible de défendre la vulnérabilité ou la fragilité individuelle comme causes uniques du suicide… »
je viens de lire et relire cet article et je ne comprend pas ce passage
bon je n’y connais rien, mais je pense qu’un devouement a son travail pour des raisons bancales peut causer un desequilibre dans la vie de certaines personnes quand ils sont amenes un jour a faire face a la realité (ou une réalité)
je ne suis pas sur d’avoir ete clair, mais je ne puis formuler mon hypothese en peu de mots, surement inadéquat en plus
j’ai hate de lire la suite 🙂
Je ne suis pas sûr de comprendre exactement votre remarque, mais je vais essayer d’y répondre comme je peux: si on considère le suicide comme un acte adressé à quelqu’un, et si ce dernier est commis sur le lieu même du travail, cela nous conduit à penser que le travail lui-même est en lien avec l’acte suicidaire et que donc il faut non seulement prendre en compte les problèmes individuels de quelqu’un mais également son rapport au travail dans l’analyse des causes du suicide. Je ne sais pas si j’ai été clair, il ne me semble pas mais c’est très difficile d’en parler en peu de mots. J’éspère avoir pu vous aider dans la compréhension de l’article en tout cas!
À bientôt sur paradoxa,