Le corps retrouvé, Pierre Delion. – par J-L. Vannier

Le corps retrouvé, Franchir le tabou du corps en psychiatrie, Pierre Delion, Hermann Psychanalyse, 2010.


Un de mes patients, taciturne et plutôt silencieux, se fit un jour piquer en séance sur la main par un moustique « tigre » niçois. Jusqu’alors immobile, son corps plus tétanisé qu’au repos sur le divan, l’analysant se mit soudainement à bouger et à gratter là où une rougeur instantanée était apparue. Il dit : « lui, au moins, il sait ce qu’il est venu chercher ! ».

Il faut lire le passionnant opuscule, publié chez Hermann, que Pierre Delion consacre aux relations du corps avec la psyché. Le titre en est des plus explicites : « franchir le tabou du corps en psychiatrie ». Armé de ses quarante années de clinique, ce professeur de pédopsychiatrie à la Faculté de médecine de Lille et psychanalyste peut légitimement témoigner de sa pratique à restaurer la « continuité corporopsychique ». Rappel d’un « détour » par le corps d’autant plus impressionnant et utile que ce dernier, souvent marqué par un dédain thérapeutique qui se place sous l’empire de l’intellectualisme et de « l’inflation idéelle », refait surface dans le transfert et dans la cure : « moi corporel » de Sigmund Freud évoqué dans « Le moi et le ça » de 1923, « perte du contact avec le corps », élément de souffrance pour D. W. Winnicott, « délimitation du corps » dans le transfert des psychotiques pour Jean Oury, « Moi-peau » pour Didier Anzieu, « Moi-odorat » ou « Moi-respiratoire » pour Joyce Mac Dougall, « image inconsciente du corps » de Françoise Dolto. Jusqu’à la formule de Jacques Lacan : « l’acte manqué est un discours réussi ». Comment, semble s’interroger Pierre Delion, avons-nous pu oublier tant de maîtres et de prédécesseurs, tous animés dans leur travail quotidien par ce contact avec le corps ? Pourquoi avoir perdu cette « clé de la rencontre interpersonnelle » pour reprendre l’expression de Jacques Schotte auquel l’auteur rend un hommage appuyé pour une vie consacrée à l’anthropopsychiatrie  (voir aussi : Jean-Louis Feys, « L’anthropopsychiatrie de Jacques Schotte, Hermann Psychanalyse, 2010, Ouvrage lauréat du Prix de l’Evolution psychiatrique 2009).

 

Si le chef du service de pédopsychiatrie du CHRU de Lille revient à la fin de son livre sur la méthode du « packing », on lira avec davantage d’intérêt, les quatre pages consacrées à « la télévision et les bébés » : brève mais percutante réflexion de l’auteur sur les conséquences pour le tout-petit de « l’allaitement télévisuel » en lieu et place de « l’allaitement maternel ». En conclusion, l’auteur se félicite des « retrouvailles », déjà soulignées par ailleurs, entre neuroscientifiques et psychopathologues (http://paradoxa1856.wordpress.com/2010/10/14/le-souci-de-lhumain-un-defi-pour-la-psychiatrie-colette-chiland-et-al-par-j-l-vannier/) qui permettront, s’il en était encore besoin, de prouver que la psychiatrie sans corps est « une illusion fumeuse ».

 

Nice, le 4 novembre 2010

Jean-Luc Vannier

 



4 réflexions sur “Le corps retrouvé, Pierre Delion. – par J-L. Vannier”

  1. C’est peut-être une question un peu naïve, mais puisqu’on parle tant du corps en psychanalyse depuis des années (ou peut-être même depuis le début), de la relation psyché-soma, pourquoi la psychanalyse garde-t-elle un dispositif spatial (divan-fauteuil) qui l’efface autant ? Est-ce que la cohérence ne serait pas de changer cette disposition pour redonner une place corporelle au corps plutôt qu’une place uniquement sémantique ?

  2. Pingback : « Le corps retrouvé  de Pierre Delion dans la dernière édition du « Monde des Livres  « Hermann le blog

  3. @ M : Merci 🙂
    @Euriale: Très bonne question en effet. Certaines tentatives existent tout de même, comme la relaxation psychanalytique. Mais à la vérité, j’ai le sentiment qu’il est très difficile de faire se rencontrer les pratiques thérapeutiques travaillant sur le corps (relaxation etc.) et la psychanalyse, tant les points de vue qu’elles portent sur l’homme sont différents..

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