Jacques Lacan, une œuvre au fil du miroir, Sous la direction de François Duparc, -Par Jean-Luc Vannier

On pourrait oser la formule : Jacques Lacan ne cesse de s’écrire. Preuve que le psychanalyste français décédé en 1981 suscite toujours des débats passionnés sur ses concepts théoriques et son travail clinique, un opuscule fort éclairant et plutôt honnête qui lui est consacré vient d’être publié aux Editions In Press. Réalisé sous la direction de François Duparc, ce travail offre à d’anciens lacaniens et à des fidèles de la SPP, l’occasion de discuter librement d’une « œuvre au fil du miroir », titre en référence à l’une des principales conceptualisations de Lacan sur l’image spéculaire de l’enfant.

 

Fil rouge de ces réflexions, le Lacan des débuts semble autant apprécié que celui des derniers temps passablement vilipendé. La découverte du « Stade du miroir », certes largement emprunté à Henri Wallon et présenté au Congrès de Marienbad en 1936, son « discours de Rome » sur « Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse », ses séminaires à Sainte-Anne à partir de 1953, et en particulier celui de 1956 sur la « Relation d’objet » qualifié de « démonstration magistrale » ou ceux portant sur « les psychoses », de même que l’approche de la « cure comme paranoïa dirigée » sont mis en exergue par les différents auteurs. Ces derniers se rejoignent toutefois pour regretter son « enlisement dans les noeuds borroméens » et dans ses « mathèmes » ainsi que « la tension dialectique qui se fige en dogme et en école » à la fin de sa vie, autant d’éléments qui semblent invalider le Lacan d’après 1972. En cause également selon Guy Cabrol, sa « personnalité singulière entre surréalisme et subversion qui va insidieusement infiltrer toute la doctrine freudienne ».

 

Sur d’autres thèmes lacaniens, l’ouvrage oscille entre prudence et réprobation: relevé par François Duparc, son « refus de tout optimisme thérapeutique » ne saurait constituer un argument opposable : Freud n’a pas dit autre chose en fustigeant la « furor sanandi » des médecins. La critique la plus étayée concerne sans doute le rejet catégorique par Lacan de « toute compromission avec l’affect », « grand absent, selon Gilbert Diatkine de la théorie du signifiant ». Au risque, selon un autre des contributeurs, du « mépris de Lacan pour les descriptions de bébés avec leurs mères ». Selon le témoin direct d’une de ses conférences à l’Hôpital des Enfants malades, « il ne faisait aucun doute qu’il ne connaissait rien aux enfants ». Des propos d’Annie Anzieu rapportés par François Duparc le confirment: « à l’Association Psychanalytique de France, ils n’aiment pas les mères et les bébés, c’est l’influence de Lacan ! ».  Est-ce une des raisons pour lesquelles les Lacaniens tirent l’Idéal du Moi vers le père, la métaphore paternelle, déniant ainsi un rôle émotionnel plus exclusif à la mère et au bébé ? Citant la recherche de Marc Reisinger (« Lacan l’insondable », Les empêcheurs de penser en rond, 1991), François Duparc propose une explication: la mort de son petit frère en bas âge, une mère qui en conséquence « désinvestit le jeune Lacan et s’abîme dans la religion, un second frère qui deviendra Bénédictin ». L’a-temporalité de l’inconscient qui écarte les traces mnésiques -et donc une certaine dose de temporalité- et la « mystique du RSI » qui semble s’inspirer de la Trinité, en seraient d’ultimes prolongements négatifs. D’où la question d’Alain de Mijolla : Lacan aurait-il « voulu avoir une vie de saint ? ».

 

Outre ses savantes élaborations sur le langage et l’audace de son approche sur le traitement des psychoses,  les auteurs créditent généralement Jacques Lacan pour sa « lecture attentive de l’œuvre de Freud » qui dénonçait « les contresens des traductions approximatives » ainsi que sa critique, selon Dominique Suchet, de « l’apologie du Moi autonome » et son rabattement adaptatif sur les relations sociales. En revanche, son « idéalisation de la castration » et, pour certains, son « aporie de la forclusion psychotique » donnent toujours lieu à controverse.

 

Evidemment, les auteurs membres de la SPP passent sous silence son impulsion à s’intéresser aux problèmes institutionnels. Ils ne dissertent pas sur le coup de pied donné dans la fourmilière de l’organisation freudienne par l’inventeur de la scansion dans la séance. On regrettera également cet ultime silence des rédacteurs du livre : le Lacan d’après 70 renouvelle et éclaire non sans génie l’ensemble des questionnements sur la sexualité féminine. Ce n’est déjà pas si mal pour un seul homme.

 

 

Nice, le 1er mars 2011

Jean-Luc Vannier

 

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