Esquisse d’une psychologie, Sigmund Freud, nouvelle traduction. Article de Jean-Luc Vannier

Esquisse d’une psychologie, Sigmund Freud, nouvelle traduction par Susanne Hommel, Jeff Le Troquer, Alain Liégeon et Françoise Samson. Coll. « Scripta », Erès, 2011.

 

Initiée en 1976 par un cartel de l’Ecole freudienne de Paris, publiée partiellement par la Revue strasbourgeoise de l’Ecole de la Cause Freudienne, reprise en 1999 par une équipe qui planche sur la troisième partie, cette nouvelle traduction de « Entwurf einer Psychologie » montre, au travers des méandres de son élaboration, la complexité d’une des études les plus essentielles du père de la psychanalyse : c’est en effet « l’Esquisse d’une psychologie » qui jette les bases des futurs concepts analytiques. Outre l’intérêt d’un ouvrage accessible dans les deux langues, allemande et française, le lecteur perçoit la volonté générale du Viennois, affirmée dès l’introduction, de faire entrer les principaux fondements de sa psychologie dans le moule des sciences naturelles. D’où la représentation quantitative des influx psychiques oscillant entre activité et repos, la présentation quasi mécanique de leurs articulations neuronales et la description de processus en terme de décharge. Si l’exploitation d’un vocabulaire scientifique et son application rigoureuse aux schémas de la psyché sont parfois susceptibles de rebuter le profane, l’intérêt manifeste de l’ouvrage réside cependant dans la redoutable capacité du fondateur de la psychanalyse d’adoucir la sécheresse de certains de ses exposés en les illustrant par des phénomènes psychologiques connus de tous : la souffrance ou la douleur -les « affects et états de désir »- éclairent ainsi la réussite ou l’échec des tortueux écoulements de l’excitation,  les « trois grands besoins comme la faim, la respiration ou la sexualité » annoncent quant à eux le terme de « Trieb » qui apparaît pour la première fois dans le texte et préfigure les réflexions subséquentes de Freud sur la « vie et le destin des pulsions ». « Toute théorie psychologique digne d’intérêt se doit de fournir une explication de la mémoire » rappelle Sigmund Freud qui entend montrer les modifications ou le caractère « inchangé » ou « neutre » de certains des neurones. L’introduction conceptuelle au « Ich », origine de la future instance moïque, permet ainsi de mieux saisir là encore, les raisonnements de l’auteur.

La deuxième partie intitulée « Psychopathologie » se révèle moins absconse: les « représentations hyperintenses » de la contrainte hystérique, les mécanismes pathologiques de défense et les perturbations de la pensée par le surgissement des affects ramènent certes le lecteur sur les rives plus familières de la psychanalyse. Reste la troisième partie, fruit du travail de cette équipe qui s’est appuyée sur « la première mouture faite par Alain Liégeon à partir du texte original paru dans le Nachtragsband des Gesammelte Werke en 1987 ». Elle se concentre sur les « processus secondaires » à la base des mécanismes des deux lois biologiques de l’attention psychique : la première est celle de la « défense primaire », la seconde énonce l’existence d’un « surinvestissement psychique » par le « Ich » des neurones déjà investis lorsqu’apparaît un « signe de réalité ». Point de départ des élaborations de Freud sur l’identité, « but la pensée pratique ».

On lira avec d’autant plus d’intérêt ces pages sur « un écoulement de pensée qui peut conduire à la déliaison de déplaisir » ou à la « contradiction » qu’elles amorcent une perlaboration déjà latente dans l’esprit de Freud et confirmée par ses écrits tardifs : celle d’une « source indépendante de déplaisir qui se trouve dans la sexualité » jusqu’à un « Au-delà du principe de plaisir » consacré par son ouvrage charnière de 1920. Loin d’un « Moi » homéostatique que certains des successeurs de Freud s’acharneront à décrire, c’est une instance du Moi où s’intriquent des forces résolument opposées que découvre cet ouvrage. C’est dire si « l’Esquisse d’une psychologie » foisonne de références en gestation pour saisir la richesse d’ensemble de l’œuvre freudienne.

Nice, le 20 août 2011

Jean-Luc Vannier

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